Dream Theater sombrerait-il dans la lubie maidennienne des DVD à gogo ? Si chaque tournée donne lieu à l'enregistrement d'un concert, les étagères des fans vont se remplir bien vite. Attention aux abus... Bon cette fois, l'occasion est spéciale : comme nous l'avait affirmé James LaBrie lors de l'interview d'octobre 2005, le groupe américain a carrément invité un orchestre symphonique sur scène, pour faire de cette soirée au Radio Music Hall de New-York, ultime date de la tournée mondiale promouvant Octavarium, un show très spécial. Du grand spectacle, en somme.
Le concept de cette tournée n'a pas été abandonné pour autant ; la rétrospective sur vingt ans de carrière est le fil rouge de ce « voyage musical » auquel sont conviés les spectateurs, où dès les "Root Of All Evil" et "I Walk Beside You" ouvreurs conclus, c'est avec "Another Won" que le combo enquille, dans un come-back en 1985 au détour de la période Majesty. Dirigé par Mike Portnoy, mégalomane en chef, le shooting met évidemment l'accent sur les prouesses techniques de chacun des membres, et sur lui-même en particulier, même si le son ne suit pas toujours : où donc s'échappe la basse de John Myung ? Il faut vraiment tendre l'oreille pour l'entendre derrière le mur sonore des toms du kit gigantesque du boss. Frustrant, eu égard aux compétences du gaillard. La set-list, bien entendu, n'est pas de nature à satisfaire tout le monde, tant la présence de l'orchestre détermine de façon implicite les morceaux à jouer en deuxième partie de set ; le choix a donc été fait, pour la première moitié de l'histoire du groupe, entre nombre de classiques dont l'absence ne peut qu'être regrettée. Ce "Afterlife" était-il bien judicieux ? Idem pour "Raise The Knife", morceau certes rare, mais pas franchement indispensable. Au fan de trancher.
C'est "Under A Glass Moon" qui représente Images And Words, et "Innocence Faded" tient lieu d'Awake. Des morceaux joués à la perfection, chantés par un James Labrie désormais très convaincant en live, et dont l'enchaînement constitue la meilleure surprise de cette première moitié de concert jouée « brute », sans l'orchestre d'Octavarium. La langoureux "The Spirit Carries On" la conclut, première touche de douceur dans un spectacle jusqu'alors très heavy. C'est alors que le groupe se retire, et laisse l'orchestre jouer l'introduction du monument "Six Degrees Of Inner Turbulence", chanson-album de trois quarts d'heure jouée dans son intégralité. Et qu'en dire ? Parfois, on aimerait être critique vis-à-vis de Dream Theater : attitude scénique irrégulière, tendance « je me la pète » plus que prononcée, propension à repêcher des idées ailleurs... Mais face à un tel enjeu, et étant donné la perfection dans l'interprétation d'un tel morceau, c'est bien difficile. Réglés à la minute, les musiciens ne laissent rien au hasard et livrent une performance magistrale. L'orchestre, évidemment, apporte plus de couleur à "Goodnight Kiss" qu'à "The Test That Stumped Them All", mais trouve dans la globalité de cette fantasque composition une amplitude musicale assez exceptionnelle. Un grand moment.
L'enchaînement "Vacant" / "The Answer Lies Within", assez logique compte tenu des arrangements originels, paraît cependant bien lourd. Nous dirons que c'est l'intermède soft du show. La pression retombe alors... Puis vient, après un "Sacrificed Sons" à la bienséance typiquement américaine - pas étonnant que cette chanson, à relater aux événements du 11 Septembre 2001, soit accueillie de façon quasi-religieuse à New-York - le tour de Jordan Rudess de briller en solo, en faisant hurler son continuum et sa lap-steel guitar. L'interprétation est également sans faille, mais cette introduction "d'Octavarium" est décidément inutile ; ou tout du moins bien trop longue. Ce qui suit, en revanche, est de très haut niveau. Même si l'animation ridicule qui s'immisce lors de la partie instrumentale, bien que marrante dans l'absolu, n'a pas son pareil pour casser l'ambiance dramatique. Toujours est-il que les différents mouvements "d'Octavarium" s'enchaînent avec bonheur, jusqu'à la montée en puissance finale, l'intervention de l'orchestre et le magnifique solo de John Petrucci, révélant la grandeur de l'un des tous meilleurs titres de Dream Theater. La conclusion idéale... Avant le rappel que tout le monde attend, le toujours ultime "Metropolis Part 1", avec ou sans orchestre. Fin du show.
Difficile d'émettre un avis. Dream Theater côtoie le très grand à plusieurs reprises, mais n'est pas exempt de fautes de jugement. Question scène, le groupe reste égal à lui-même : Portnoy en fait toujours des caisses, Rudess fait toujours autant le clown, Myung se concentre toujours autant sur ses six cordes, James LaBrie tire toujours des gueules affreuses lors les notes élevées. Petrucci a choisi d'arborer, après le look teenager, une panoplie de James Hetfield body-buildé ; une vraie petite starlette. On frise le ridicule. Mais c'est bien aux fans que Score s'adresse, tant le DVD est bourré de clins d'oeil à leur intention. Les autres, qui souhaiteraient découvrir le metal progressif des ricains, lui préféreront sans doute le Live At Budokan. Niveau bonus, on trouvera trois morceaux supplémentaires joués live : "Another Day", "The Great Debate" et "Honor Thy Father", au son pour le coup très critiquable, ainsi qu'un documentaire « à l'américaine », façon Geographic Channel, témoignages et images d'archive à l'appui, où l'on apprend (comme par hasard) que ces gars sont bel et bien les meilleurs musiciens du monde. Bref, le melon prend des proportions de plus en plus imposantes, mais tant que la musique reste de qualité, cela restera pardonnable.