In Absentia nous avait laissé sur un rock prog métallisé avec parcimonie et une exploration relative des possibilités qu’offre la dissonance harmonique (dans les soli de gratte notamment). Vous auriez aimé aller au bout de cette exploration, creuser davantage dans cette voie ? Porcupine Tree l’a souhaité aussi, et ce souhait a pris le nom de Deadwing.
La première chose qui frappe dans cet album, par rapport à son prédécesseur, est sa plus grande accessibilité. "Shallow", le titre single de la galette, ne le contredira pas, "Lazarus" non plus, pour peu qu’on se laisse aller à une nostalgie aux teintes rose bonbon. Même les titres étirés comme "Deadwing" et surtout le splendide "Arriving somewehere but not here", vous font passer cinq minutes en une. La raison est probablement à chercher du côté de la composition. Elle est plus serrée et efficace que sur In Absentia, pour un résultat surprenant d’homogénéité. Non pas que Deadwing soit d’une linéarité ennuyeuse, non. Ce qui assure cette homogénéité, c’est bien la qualité d’écriture ; car dans Deadwing, même s’il peut arriver - rarement - qu’on trouve le temps long, chaque titre recèle une pépite harmonique, rythmique, ou simplement une coloration, une inflexion particulière, une transition d’une séquence à une autre, qui vous émeut d’autant plus que vous n’y étiez absolument pas préparé.
C’est là une autre force de ce disque : son pouvoir de surprise. Attention, pas une petite surprise. La vraie, celle qui vous sur-prend, qui d’une main musicale vous agrippe le fute et ne relâche que longtemps après son étreinte, tant certains passages peuvent résonner en vous, s’étendre en vous et croître indépendamment, à l’écart de votre vie consciente, presque sous elle. C’est d’abord le passage totalement addictif de "Deadwing" à partir de 2:14, sur lequel on découvre un Wilson à la magnifique voix grave, soutenu par une instru glissant d’une note à son demi-ton supérieur dans un mouvement de retour cyclique. Mais c’est l’enchaînement des parties entre 2:14 et 4:30 qui EST l’exemple du génie de composition à l’œuvre sur Deadwing : le passage déjà cité, sombre et en tension, est suivi par une reprise du thème d’ouverture dont le groupe explore les possibilités en le prolongeant d’un riff gras et délicieusement syncopé, sur lequel se pose le riff de synthé jumpy qui ouvrait le morceau – vous suivez ? La magie ne s’arrête pas là et le riff cadencé se jette dans l’estuaire d’un solo de guitare à moitié détraqué, tout de suite suivi d’une ouverture lumineuse : voix harmonisées, guitares en arpèges avec effet de chorus, amplitude solaire d’une batterie tout en nuances, qui laisse mourir ce thème - trop court ! - en laissant traîner un fil pêchu qui annonce… le retour de la voix grave de Wilson posée sur l’instru en tension ! C’est dire la richesse incroyable de ce seul opening, sans conteste le meilleur morceau de l’album, à tous points de vue.
Il y a foule d’autres passages qui ne manqueront pas de vous rendre drogué à Deadwing. Tenez, prenez "Mellotron Scratch" : vous écoutez et « ouais, bof » , gentille l’intro, fleuri le couplet, agréable le refrain, mais « ouais bof », non ? Même le passage un peu plus énervé là, à la gratte, pas bien fou. Et c’est là que VLAN ! THE CLAQUE !! En deux secondes et pas de transition, au détour d’un riff chiant comme un grand boulevard bordant le périph’, vous tombez nez à nez avec une magnifique maison médiévale à colombages, progressivement bâtie sous vos yeux à coups d’arpèges mélancoliques et discrets. Façonné par un rythme binaire qui laisse bientôt place à sa variation ternaire, ce changement renforce l’irrésistible tristesse qui se dégage de la fin de "Mellotron Scratch". Dans le même registre, le refrain de "Lazarus", pourtant totalement cucul, mêlé au bruit de train en partance pour on ne sait où, provoque comme un déchirement qui vous affecte dans ce que vous avez de plus profond. Et tout ça ne serait rien s’il n’y avait pas le magnifique "Arriving somewhere but not here". Magistral de maîtrise, il suscite un peu le même sentiment que celui qu’éveille en nous un lever de soleil : progressif, imperceptible tant il est lent, mais qui finit toujours par se produire, jusqu’à ce qu’il paraisse dans son évidence de puissance. Ce morceau se passe de commentaires, tant Wilson parvient à exploiter jusqu’au bout les quelques notes du thème jouées à la guitare.
On passera assez vite sur "Open Car", quoique le titre soit bien ficelé et équilibré, sans pour autant avoir le souffle de ceux cités plus haut. "Arm Glass Shattering" quant à lui, constitue un final honnête, quoique trop linéaire. Mention spéciale enfin à l’intro ultra groovy de "Halo" et à ses paroles, même si tout le morceau n’est pas à la hauteur de ce que promet l’intro.
Deadwing est donc un très bon album, plus efficace et varié qu’In Absentia, mais surtout beaucoup plus inspiré. C’est en tout cas un disque qui aura su à maintes reprises m’émouvoir profondément, qui ne s’essouffle presque jamais et qui possède un fort pouvoir de surprise. L’ensemble est cohérent et stimulant, on revient avec un grand plaisir tant Deadwing possède ce souffle créateur qui fait les grands albums.