Nous voilà en 1967, année presque hippie, et un petit groupe sort son premier album éponyme. The Doors avec ce vinyle (à l’époque bien sûr ! Je n’ai que la réédition CD remasterisée qui soit dit en passant possède un superbe son d'une clarté cristalline) fait sensation puisque autant le dire tout de suite, il s’agit bien évidemment de la bombe galactique que tout le monde connaît. Débarquant avec un son qui leur est propre, et toujours original aujourd’hui, des claviers omniprésents, des compositions magnifiques et une inspiration jamais mise en défaut, The Doors met son monde à genoux. Difficile de faire la fine bouche devant une telle démonstration et une telle débauche de talents.
Bien évidemment, on louera le chant si particulier de Jim Morrison et les claviers enchanteurs de Ray Manzarek, pourtant ce serait volontairement et ignominieusement oublier les comparses Robby Krieger à la guitare et John Densmore à la batterie qui livrent des partitions tout à fait honorables voire plus si affinités (et on en aura). En effet ils maîtrisent leur instrument tout à fait correctement, d’autant plus pour un jeune groupe, avec notamment une batterie qui sait merveilleusement varier les coups et quelques claquages de basse délicieux (écoutez "The End"). En tout cas, le groupe fabrique une musique poétique, à l’image des proses de Jim Morrison, qui reste unique. Les claviers doucereux et mielleux (pas dans le sens péjoratif du terme) contribuent bien sûr à cette impression.
Les chansons sont quasiment toutes des power songs formatées trois minutes catchy. Mais bon, The Doors oblige, cela reste de la pop rock (progressive ?), de haute volée. Impossible de trouver cela débilitant ou soupeux comme on a tendance à le penser de la pop. Et puis à côté vous avez deux envolées, quasi instrumentales, qui frôlent les sept minutes pour l’une, "Light My Fire", et qui enfonce les onze minutes pour l’autre, la titanesque "The End". Deux chansons qui me font dire que Les Doors ont un petit côté prog car elles possèdent, outre leur longueur, des changements de rythme assez nombreux et un côté expérimental, progressif donc, prononcé.
Niveau power songs catchy, ça débute dès les premières notes de l’album avec "Break Oon Through (To The Other Side)", excellentissime s’il en est. Qui n’a jamais entendu et tripé sur son refrain « Break on through… to the other side, Break on through… to the other side yeah » (ils le font terriblement mieux, je vous rassure) ? Le chant de Morrison est poignant, les claviers vous font planer bien haut et la musique est vraiment faite pour être appréciée soit drogué soit éméché. Enfin c’est ce qu’il en ressort hein, je ne saurais vous le conseiller… Quoiqu’il en soit, c’est ce que l’on appelle je crois, de la musique planante.
Ensuite, il est tellement facile de nommer "Twentieth Century Fox", "Alabama Song (Whisky Bar)" et "Take It As It Comes" que je ne résiste point au plaisir de vous les donner. Toutes ces pistes sont de l’or en barre avec un refrain enivrant et des mélodies entripantes à mort. Non, franchement, ils sont pas rigolos chez les Doors, ils font que de la musique tellement bonne qu’on est obligé de se répéter et à force de passer pour un ultra abruti, vilains va ! Les claviers sont toujours un membre très actif à cette excellence. Par contre, la guitare même si elle balance de temps en temps des riffs bien sentis (cf. "Break On Through") n’est vraiment pas la star chez les Doors. Ne pensez pas non plus que les chansons que je n’ai pas appelées à la barre sont mauvaises, bien au contraire, mais il faut bien faire du tri sinon après c’est pas marrant on se retrouve à passer pour un vendu.
Passons maintenant au morceaux les plus progressifs, "Light My Fire" et "The End". D’abord "Light My Fire" qui commence par une mélodie claviers désormais mythique et ensuite vient se greffer le chant de Jim. On continue sur du classique power song catchy Doors avec refrain qui tue pendant une minute trente seulement. Ensuite c’est enchaînement triple luts piqué sur un long solo de claviers avec une petite montée en puissance de la batterie qui tend à l’énervement de plus en plus caractérisé et toujours le même riff pour la basse. Puis les claviers se calment et laissent place à un solo de guitare toujours poussé vers le haut par un autre énervement batterifique. Un solo bien long et tout en toucher (par la grâce). Diablement tentant, il vous fera connaître les vertus des sept péchés. Et enfin au bout de cinq minutes, on retrouve la mélodie claviers du début et Jim reprend son chant envoûtant. La fin n’ayant pour mission que de nous achever avec une montée progressive en puissance.
Et enfin, ce qui fait que ce disque n’est pas que mythique mais aussi légendaire, gargantuesque, bref n’importe quel qualificatif dithyrambique vous passant par l’esprit, "The End". Je ne reculerai pas devant la montagne de l’affirmation et clame bien haut que je considère cette chanson comme UNE DES TOUTES MEILLEURES JAMAIS ECRITES, oui moi le fan de black metal. Intro sur quelques menus accords de guitare, à vous faire frissonner jusque dans votre être le plus profond. Et le fameux « This is the End… ». Je n’ai rien à dire, les mots me manquent pour décrire l’état d’exaltation que j’atteints à l’écoute de ce début. Et dire que ce n’est qu’un début ! Une chanson qui partira avec un goût certain dans tous les sens, et pourtant en gardant toujours la même trame mélodique, toujours ces fameux accords de gratte qui la gardent sur un rail droit, le deuxième n’étant finalement que tumultes et changements de direction.
Rarement la dimension poétique aura atteint tel paroxysme dans la musique. Tous les instruments se mettant de concert dans une délicatesse sans nom, puis pour crier à la face du monde ensemble dans un même élan sur la fin. Le travail sur les cymbales est tout bonnement renversant, les différentes lignes de basses sont jouissives et les rares claviers qui parsèment la chanson sont juste touchants. Ils confèrent une ambiance plus extraordinaire encore à ce monument. Mais alors que le calme le plus parfait berce nos oreilles, des excitations sporadiques se font entendre. Tout ça nous mènera au final apocalyptique qui s’entame dès la huitième minute. Une prodigieuse montée en rythme, en puissance, en force de tous les instruments, du chant qui s’achèvera dans le chaos fusionnel à la dixième minute. Après, retour du calme olympien, de l’apaisement général. Les paroles suivent la même tendance même si je dois vous avouer que je ne les ai pas, mais le peu que je comprends donne cette impression. Et je ne puis m’empêcher de penser à ces scènes dans la jungle vietnamienne de Apocalypse Now, film qui rend merveilleusement en image cette chanson, lorsque que je l’écoute. MONUMENTALE.
Evidemment, achever un album déjà formidable sur un tel pavé, finalement bien court, parachève le travail de béatification. On finit l’album béat d’admiration, et heureux d’entendre de si belles musiques. Thiiis iiiis theeee Eeeeeeeeeeeeeeeeend…