Avec l'excellent The Gray Race, Bad Religion avait prouvé qu'il pouvait se passer des services de Brett Gurewitz en tant que compositeur. Le nouveau guitariste, Brian Baker, avait le choix entre deux propositions: soit rejoindre REM ou Bad Religion. Sa préférence s'est orientée vers le punk, mais on sent dans son jeu, et particulièrement sur No Substance, qu'il a toujours été attiré par le milieu pop. Brett Gurewitz avait une approche davantage punk "old-school" pour ses solos. Les guitares sont donc plus mélodieuses et raffinées que jamais, et le chant de Greg Graffin, plus intimiste et parfois en proie à des crises "dépressives", se rapproche de l'esprit de son album solo (American Lesion, sorti en 1997). Ses capacités vocales peuvent lui permettre de s'éloigner du punk de base. Greg Graffin ne fait pas non plus du Thom Yorke ou du Jeff Buckley, heureusement; No Substance reste un album composé essentiellement de mid-tempos, certes, mais la dynamique Bad Religion est toujours présente, et on n'a pas envie de se tirer une balle.
Ceci dit, No Substance n'a pas fait que des heureux parmi les fans conservateurs. En toute logique, les amateurs de punk ont fait la fine bouche face à la prédominance des choeurs et des tempos "lents". La vitesse ne doit en aucun cas être un critère pour déterminer si l'album est bon ou pas, et franchement, pour certains fans, c'en est un j'ai l'impression ! Mais les fans "ouverts", friands de mélodies pop, ont eu de quoi se régaler avec ce disque. Certaines d'entre elles sont absolument magnifiques ("No Substance", "In So Many Ways" et "Victims Of The Revolution"), tout en restant dans un souci d'efficacité propre à Bad Religion (les morceaux s'enchaînent très vite et se retiennent, c'est fort quand même !).
Bref, tout ce que n'a jamais eu le grunge est présent ici : des guitares riches et travaillées (suffit d'écouter l'intro de "All Fantastic Images" pour s'en convaincre), un bon chanteur et une énergie globalement positive, sans prises de tête malgré les paroles (toujours aussi intéressantes à lire, même sans écouter la musique, ça change du heavy metal) et le thème général de l'album (son titre et sa pochette sont assez évocateurs) qui ne prêtent pas non plus à la fête. Seul le single "Raise Your Voice!" et son refrain joyeux ("fa fa fa fa fa fa") apportent un peu de légèreté, avec un p'tit côté "punk pour ados". On n'aurait jamais soupçonné Bad Religion capable de tomber dans de tels travers. C'est la seule faute de goût de l'album. "Raise Your Voice !" sera d'ailleurs le single, en toute logique, c'est surtout son refrain qui fait tache, car les couplets, bien punk rock (chantés par Campino, chanteur de Die Toten Hosen), sont assez entraînants, fun et différents de ce que le groupe peut proposer d'habitude.
No Substance n'est pas vraiment un album à classer dans le punk rock (à part pour quelques titres), c'est pour ça qu'il ne fait pas l'unanimité. L'album est plutôt bien équilibré avec quelques titres speeds, véritables boulets de canon qui rappellent quand même que Bad Religion ne fait pas de la pop : les très courts et punk "At The Mercy Of Imbeciles" et "Mediocre Minds" permettent de redynamiser l'album, idem pour le morceau génial en introduction "Hear It". "The Biggest Killer In American History" alternent partie speed et refrain heavy, preuve si il en est que Bad Religion sait toujours y faire dans les tueries. "The State Of The End Of The Millenium Address" est assez spécial, uniquement basé sur un riff pesant et heavy, tandis que Greg Graffin parle plus qu'il ne chante à travers un discours sur la fin du millénaire. "Sowing The Seeds Of Utopia " représente ce qu'a toujours été Bad Religion, implacable dans l'alchimie entre vitesse et mélodie, idem pour "In So Many Ways", une des plus belles fins d'album pour le groupe (le refrain fait une fois de plus penser à du Goldman / Dion).
Parmi les morceaux plus pépères et mid tempos, là encore, Bad Religion est parfois assez linéaire, ce qu'il a toujours été de toute façon. Certains sont magnifiques et contiennent des guitares raffinées comme jamais ("No Substance", "All Fantastic Images"), parfois carrément tristes aussi ("Victims Of The Revolution"). D'autres sont plus positifs et entraînants, avec un travail énorme sur les choeurs, qui paraîtront sûrement excessifs à certains. Greg Graffin en profite même pour endosser le rôle du chanteur pop "sensuel" à sa façon ("Shades Of Truth", "Strange Denial"). Une inspiration top niveau pour pratiquement tous les titres (exception faite de "Raise Your Voice !" et "The Hippy Killers", un peu lourd) pour une grande réussite; s'il y a un album qui mérite d'être réhabilité dans leur discographie, c'est bien celui-ci !