Bad Religion symbolise à mes yeux le punk rock dans ce qu'il a de plus mélodique et raffiné, le seul groupe punk à posséder un vrai chanteur à l'inverse de la vague "punk" US de l'époque avec leurs chanteurs aux voix de gamins révoltés et de rebelles à deux francs (NOFX, Green Day). Bad Religion n'a jamais fait partie de cette vague. Le groupe existait déjà bien avant, depuis le début des années 80. Au départ, Bad Religion pratiquait un punk-hardcore très direct, et ensuite, à partir de l'album culte Suffer, le groupe s'est orienté vers un style extrêmement mélodique qui a fait sa renommée. Depuis Suffer, l'évolution de Bad Religion se mesure au compte-goutte et album après album, le changement vient surtout des mélodies qui deviennent de plus en plus pop et la musique de moins en moins punk.
Après le succès de Recipe For Hate et de "American Jesus", l'hymne par excellence du punk des années 90, Bad Religion s'est payé une grosse production pour Stranger Than Fiction ce qui permet de mieux mettre en valeur la batterie et les guitares qui se font moins tranchantes. Les compos de Bad Religion ont toujours été d'une grande linéarité, même si le groupe fait des efforts pour varier un minimum les structures des morceaux. Les tempos sont souvent speeds et identiques, et la sauce prend encore, une fois de plus. Quel plaisir d'enchaîner autant de morceaux courts, mélodiques et intenses! Certains tempos sont très speeds et la cadence infernale, mais Bad Religion est rarement agressif. La mélodie prend toujours le dessus, que ce soit pour le chant, les guitares et les solos, à part sur un titre, "Television", qui pour le coup sonne comme du bon vieux punk old-school. C'est Tim Armstrong de Rancid qui est invité au chant, et le résultat déchire tout.
Parmi les titres speeds, les plus marquants sont "Incomplete", "Tiny Voices", "Marked" et "News From The Front". Sur "Marked", les mélodies pop du refrain m'ont toujours fait penser à du Céline Dion/Goldman, en accéléré. On a souvent cette impression avec Bad Religion. Et les choeurs font parfois penser à des matelots égarés en pleine mer. Le sautillant "Stranger Than Fiction" rappelle un peu ce que faisait The Jam à l'époque du punk, du vrai, celui des années 70. The Jam a été l'un des premiers groupes punk rock mélodique, fallait oser à l'époque et donc ils ont logiquement influencé Bad Religion.
Pour les titres mid-tempos, certains sont magnifiques comme le très calme "Slumber", sorte de ballade à la sauce Bad Religion, le festif "Inner Logic" (un peu de joie ne fait pas de mal car Bad Religion a la particularité d'être très sérieux dans sa démarche, aussi bien musicalement que dans les paroles très engagées, et bien sûr, c'est ce qui me plaît dans ce groupe, loin de la "fun attitude" abrutissante des autres groupes de punk US), ou "The Handshake". Mais parfois, le groupe abuse un peu des choeurs et cela peu vite devenir redondant, comme le grungy "Infected" et son refrain un peu raté.
En plus, sur l'album figure également une nouvelle (et pas très utile) version de "21st Century Digital Boy", avec un refrain pop accrocheur que n'aurait pas renié Khaled avec son tube Aicha! Enfin, des mélodies pop à la sauce punk tueront toujours dans le cas de Bad Religion. Pour l'anecdote, c'est la maison de disque Atlantic qui avait souhaité que le groupe intègre "21st Century Digital Boy" sur l'album, car aucun titre ne semblait adéquat pour faire un single.
Bad Religion a encore réussi avec Stranger Than Fiction un sans-faute, un album irréprochable malgré quelques petites longueurs pas bien méchantes. Avec Recipe For Hate et l'album suivant, The Gray Race, on obtient de toute façon le triplé gagnant. Stranger Than Fiction est également le dernier album avec Brett Gurewitz, qui représente le principal compositeur et donc la belle époque pour le groupe. Après The Gray Race, qui reste encore très épris de l'ère Brett, peu à peu Bad Religion va perdre sa bonne recette crémeuse.