Le sludge est un terme dévoyé. Mastodon, The Ocean ou encore Isis n'ont, si vous me demandez, pas grand-chose de sludge. Le sludge au naturel, c'est de la boue imbibée d'alcool, de l'alcool imbibé de sang et du sang imbibé de bave et de foutre. Le sludge, c'est l'arrière-salle d'un « diners » américain désaffecté et poisseux dans lequel gisent encore des clients sans âges, sans familles, sans espoirs, ni dents, ni neurones, ni rien. Le sludge est la bannière qui réunit ceux qui n'ont plus rien d'autre que la bouteille, la castagne et la solitude.
Tempo généralement lent explosant parfois de manière aussi violente qu'attendue. Paroles ancrées dans une réalité bien sombre à base de pauvreté, de baston, de misanthropie et ce genre de choses. Esthétiquement dépouillé, le sludge d'Eyehategod est à l'image de l'artwork de Confederacy of Ruined Lives : un patchwork de mauvaises influences - religion, flingue, misère. La boueuse Nouvelle-Orléans semble être une bien mauvaise mère et la plupart de ses enfants ont mal tourné. Le fils Pantera est un homosexuel refoulé ayant versé dans la violence avant de mourir sous les balles ; le frère Crowbar est un alcoolique repenti qui, enfin, semble trouver l'apaisement ; l’aîné, Eyehategod, est le plus drogué de tous, le plus défoncé, le plus incontrôlable, le plus violent, vicieux, sale, inhumain et a disparu de la circulation depuis l'an 2000. Tant mieux : l'office du tourisme de Louisiane était, parait-il, bien embêté de le compter parmi les fiertés territoriales. Confederacy of Ruined Lives est son message d'adieu (provisoire, semble t-il...). Un message écrit sur un vieux torchon huileux avec le sang des gencives de l'homme de Vulgar Display, retrouvé gisant au fond d'un fossé.
Confederacy oscille (tangue même, trop imbibé qu'il est) entre hard-rock primaire, raw doom metal, punk hardcore chaotique et blues discret. Car si l'album n'est que rage permanente, il ne frappe pas sans but ou aléatoirement. Il exprime dans sa haine une forme de beauté. La caution de toute cette violence, c'est le Groove (avec majuscule, pour marquer le coup), ce groove imparable qui suinte de l'objet comme du miel de la bouche d'un ours. Des brûlots comme "Blood Money" ou "Jack Ass In The Will of God" transpirent la chaleur des Etats du Sud. Le blues, musique d'hommes privés de liberté, s'invite également sur la plupart des plans tandis qu'une piste comme "Inferior and Full of Anxiety" porte bien son nom et résume la sensation que provoque cette sale bête d'EHG. Les guitares sifflent et drillent l'esprit lorqu'elles ne le noient pas sous une mer de riffs aussi massifs que sales. Le beugleur Mike William crache ses tripes sur le comptoir, cherchant la cogne avec qui le désire. La basse suit le mouvement, rajoutant un peu de saleté ici ou là. Bref, Confederacy of Ruined Lives est une oeuvre primitive et sale, lourde et pleine de haine. Des riffs méchants, une énergie violente et la messe est dite. Inutile de varier le propos puisque l'auditeur est chaos dès le premier round.
Vous aurez compris que nous tenons là la définition de ce qu'est le sludge, le vrai, riche en gros riffs, en blues, en groove et en rage désespérée. Ce vilain objet suintant n'est bien sur pas à la portée de tous et ne sera pas idéal pour animer le mariage de votre cousine. En revanche, si l'envie vous prend de manger du pavé (voire d'en jeter un à la tronche de votre voisin/patron/femme/mari/chien/ami/facteur/etc.), alors l'album devrait faire l'affaire. Bonne journée, et bien à vous. La Louisiane vous remercie.