L'objet de la présente chronique sera quelque chose de jaune, de vert, qui affectionne les barbes et qui aime au moins autant les chemises à carreaux. Non, il ne s'agit pas d'un vieux reste de repas coincé dans la pilosité faciale du bûcheron de votre village. Réfléchissez. La chemise évoque le coté un chouïa « hipster » tandis que la barbe symbolise le sympathique chanteur de... Baroness, John Baizley, groupe américain qui monte et qui vient de sortir un double album intitulé Yellow & Green. Car Baroness, avant d'être le groupe qui s'éclate à faire des sauts de 10 mètres en tour-bus, c'est aussi le groupe qui a mis le feu à ses fans avec un album pourtant pas piqué des hannetons. On commence par quoi, le Jaune ou le Vert?
Par aucun. Ou plutôt, par les deux. C'est bien joli de couper son matos en deux et de poursuivre le jeu des petits noms colorés commencé avec Red Album puis continué avec Blue Record, mais en l'occurrence, la différence ne sautera pas directement aux oreilles de l'auditeur. Environ 80 minutes de musique sur un unique disque aurait simplement été trop dense. Alors je les vois venir, les fans mécontents qui vont rétorquer que « de toute façon, un double album c'est pourri, surtout pour ce qu'on se tape dessus, et que de toute façon, la musique pourrie, il aurait fallu la dégager pour faire un album simple, voire un EP, voire rien du tout ». Un peu basique comme argumentaire les mecs. Si on reprend par le commencement, effectivement, peu de différences entre Yellow et Green. Inutile de distinguer un disque en chant clair et un disque en chant beuglé, à l'ancienne. Ici, le chant clair sera seul maitre à bord. Au niveau des différences, tout au plus Yellow semble plus rythmé et direct tandis que Green se veut plus posé, mais en aucun cas plus « pourri ». Chaque album contient son lot de perles. Le format du double album (assez rare par les temps qui courent d'ailleurs...) est donc justifié. Point. Autorité de chroniqueur.
Tiens ! Revoilà notre fan mécontent qui vient se soulager de son verbe enfiellé: « Jaune et truc là, c'est du Nickelback et Nickelback, s'trop pourri. Pouuuuuuuuri. ». Concernant Nickelback, ce n'est pas ici qu'il faut en juger. En revanche, concernant Baroness, la comparaison chagrine. Il faut bien le dire, Baroness a évolué. A l'image de leurs compatriotes de Mastodon avec The Hunter, les Géorgiens ont clairement adoucis le ton sur cette nouvelle sortie. Exit les successions intempestives de plans susceptibles de donner mal au crâne à un caillou ; bienvenue aux morceaux-chansons cohérents. Si le single "Take My Bones Away", et quelques autres pistes conservent un rythme plutôt soutenu, la plupart des morceaux seront... calmes (le bourdonnant et magnifique "Twinkler", le spatial "Cocaïnium" ou encore le très relax doublet "Foolsong/Collapse", sur Green, en sont les parfait exemples). A s'adoucir, Yellow & Green gagne en profondeur. La musique joue sur les contrastes entre morceaux, et ce dès les thèmes respectifs introduisant - en douceur - chacun des disques. Profondeur et contrastes sont encore plus mis en avant par la production, orientée garage, très organique, personnelle et, il faut bien le dire, carrément chouette.
Malgré ses incursions dans certains territoires qui peuvent effectivement déstabiliser le fan de la première heure ("Mtns. (The Crown & Anchor)", qui sonne très Red Hot Chili Peppers, ou "Stretchmarker", qui donne dans l'esprit country), Baroness n'a pas perdu la capacité à pondre des hymnes très personnels. Outre le single sus-cité, "March To The Sea" convainc à l'aide de lignes de chant catchy et d'un jeu de guitare discret mais fou-dingue. Sur "Eula", c'est d'abord le chant, proche de Garm (Ulver) qui marque, puis la mélancolie, accentuée par une structure en crescendo assez post-rock dans l'esprit. Dans le genre, il ne faut pas non plus oublier "Psalms Alive", à la première partie... déconcertante, car au jeu de batterie quasiment jazzy, et à la seconde partie, comment dire ?, épique as fuck. C'est ça. De toute façon, chaque morceau a son mot à dire. Chaque morceau contient au moins un truc qui le distingue des autres : pour certains ce sera un rythme entraînant, pour d'autres, une mélancolie latente. Et voilà la véritable force de ces deux volets : rien n'est superflu, chaque seconde qui passe apporte quelque chose de frais. Car en effet, que ce soit le jeu de guitare - jeu pour lequel on sent qu'Adams et Baizley se sont fait plaisir (les soli, notamment, sont jouissifs) - ou la voix, exclusivement claire et teintée de regrets, tout concourt à un son chaleureux et exécuté avec passion.
Oscillant entre efficacité et mélancolie, entre rock garage et plages instrumentales, entre bizarreries et fibre post-rock, Yellow & Green a les couleurs et les attraits d'un bonbon. Ce double album est addictif. Alors, cher fan enragé, je ne nie pas que tu puisses être déstabilisé et je ne saurais en juger, moi qui ai découvert le groupe sur cet effort. En revanche, nier que Baroness possède une personnalité unique et efficace, c'est un peu se mettre la tête dans le sable et refuser une évolution sincère. Pour les autres, retenez ceci : on tient là l'un des albums de l'année.