Il est de ces albums qui, dès la première écoute, marquent. Parfois, le soufflé retombe : après quelques écoutes supplémentaires, on se rend compte que l’enthousiasme du début laisse place à un plaisir modéré, voire à un ennui que les impressions de départ ne présageaient pas. Et puis il y en a d’autre qui au fil des écoutes continuent à fasciner, à réjouir et qui, du coup, restent cloués sur la platine durant de longues semaines. Oui, il est bien sur question ici de ce nouvel album de Carach Angren, Where The Corpses Sink Forever.
Il y a quelque chose de rare dans cet album : la capacité d’inviter son auditeur à voyager, à rêver ou plutôt, à cauchemarder. Et ce dès la première écoute, sans préambule ni avertissement surtout pour quelqu’un comme votre serviteur qui, au passage, découvrait ce groupe avec cet album. Sans idée préconçues, donc, ni même le moindre indice sur le passé des Néerlandais. Les raisons de cet engouement immédiat tiennent à plus qu’à la musique, pourtant excellente. Car Carach Angren possède deux caractéristiques essentielles pour attraper son auditeur dans son univers : une histoire et un chanteur extrêmement charismatique qui – une fois n’est pas coutume – est parfaitement compréhensible, articule et sait réellement mettre de la vie et de la présence dans son chant. Sans même le savoir, donc, on réalise très vite – la narration introductive met directement la puce à l’oreille – que l’on a affaire à un concept album. Plus que cela, même : une histoire.
Et même sans en comprendre les subtilités (vivement que les paroles soit disponibles), l’auditeur se retrouve plongé dans l’univers de la seconde guerre mondiale, de nazis, d’armée, de combats, mais aussi de paranormal avec une histoire mettant en scène un officier ayant reçu l’ordre d’abattre sept prisonniers. Mais au lieu de les tuer, ses tirs lui font revivre l’horreur de la guerre, à travers sept tableaux où le chant est essentiellement narratif, avec même des dialogues et des descriptions de scène d’actions vivantes ("Bitte Tötet Mich", "Little Hector what Have You Done"…). Toutefois, si l’approche peut rappeler Bal-Sagoth, la réalisation n’est pas la même : la narration n’est jamais parlée, toujours chantée (disons plutôt : hurlée), et s’intègre parfaitement à la musique. Et surtout, ce chant : Seregor est un hurleur impressionnant, capable autant de produire une voix black puissante qu'un growl caverneux et tout ce que l’on peut imaginer entre les deux. Sa scansion est claire et pour une fois, les paroles ressortent d’elles même, s’imposent à l’auditeur qui doit du coup presque obligatoirement intégrer la dimension narrative et l’univers du groupe – bref, comprendre l’histoire ou au moins l’essentiel.
Carach Angren n’en est pas à son coup d’essai puisque son précédent album Death Came Through A Phantom Ship suivait le même schéma avec un thème encore plus original, puisqu’il y était question de frégate, de capitaine et de flibustier dans la tempête. La musique, elle, reprend grosso modo la même formule, avec un black symphonique classieux, romantique et noir. On pensera bien sûr à Cradle Of Filth ou Dimmu Borgir, indéniablement deux influences majeures, mais on les oubliera assez vite tant Carach Angren parvient à s’en affranchir en ayant son approche bien particulière de la musique, sa science du riff ou de l’ambiance. Écoutez l’élégant titre d’ouverture "Lingering in an Imprint Haunting" et ses arabesques de guitare mélancolique, le terrifiant "Sir John" et son ambiance death métal (ce riff !), l’alambiquée "The Funerary Dirge of a Violinist" et son côté romantico-tragique ou l’excellent intermède martial "Spectral Infantry Battalions" où l’on prend la mesure de la voix charismatique de Seregor… Il y a un petit côté Samael dans l’approche par moment martiale et classieuse de la musique de Carach Angren, plus basée sur l’émotion que sur la violence pure, et cela fonctionne parfaitement : rarement un album de black métal symphonique n’aura été une telle invite au voyage.
Impressionnant. Where The Corpses Sink Forever est un album riche, puissant, émouvant (même si les émotions les plus présentes ici sont la peur et la haine), surprenant et définitivement au-dessus du lot, tant par sa musique que par son ambiance et son approche narrative qui fonctionne parfaitement. Entre le film de guerre et d’horreur, Where The Corpses Sink Forever a une identité très forte et ne laisse pas indifférent.