Laisser couler une bière blanche dans sa gorge asséchée par une journée de travail, gratter du Neil Young sur une bonne guitare folk, caresser la poitrine d’une belle femme aux cheveux roux, en l’embrassant dans le cou pour mieux s’approprier son parfum, conduire une BMW par un soir de printemps après un bon resto, l’estomac rempli à craquer et le goût de la glace du dessert hantant toujours sa bouche, écouter The Dark Side Of The Moon...
Il y a ici tout pour faire un bon album : ambiance superbes soutenues par les somptueux claviers de Rick Wright, basse tout à fait gargantuesque voire, si vous me pardonnez l’expression, carrément pantagruélique, comme sur le groovyssime “Money”, solos de guitare épatants puisque David Gilmour est, avec un tel feeling, clairement un des guitaristes les plus talentueux qui soient. Le chant, quant à lui, est des plus expressifs (cf. “Time”, “The Great Gig in the Sky”, etc.) Aussi, en plus de maîtriser leurs instruments à la perfection, ce qui d’ailleurs leur valut souvent d'être traités d’intellos par ces saletés de punks, nos rosbifs utilisent des procédés et instruments qui constituent la dentelle de ce disque. Citons le solo de saxophone de l'énorme “Money” (l’auteur se permet de saluer au passage tous les professionnels de la finance), les différents jeux d'écho, ou encore les chœurs qu’on entend vers la fin de l’album... ah, et un classique pour l'époque, la deuxième partie du disque semble se vouloir plus expérimentale. L’album porte donc bien son nom.
On se souvient de l’album Meddle sorti deux ans plus tôt, et notamment du magnifique “Echoes”, auquel on pouvait toutefois ne rien comprendre à moins de mettre de l’absinthe dans ses Nesquik. Mais les Pink Floyd, désireux de freiner un peu le symbolisme et l’implicite, prennent avec The Dark Side Of The Moon un peu de recul sur eux-même, et c’est un pari réussi, puisqu’ils s’approchent ici grandement de la perfection, que d’ailleurs ils atteindront, on peut le dire, avec Wish You Were Here deux ans plus tard. The Dark Side Of The Moon est à la musique ce que la prière est à la religion. Cet album, mythique parmi les mythiques, nous plonge dans un voyage à travers la vie, une exploration psychonautique, bref, une rétrospective de chacun d’entre nous, pauvres petits humains mortels devant l'immensité de l’univers et l'infinité du temps. Est-il seulement possible d’imaginer cette infinité spatiale et temporelle, ne serait-ce qu’un quart de fraction de seconde ? Toujours est-il que les Floyd nous présentent ici, à travers un album concept divisé en neuf (ou dix selon le cas) pistes, les différentes parties qui constituent la vie, de la naissance à la vie sur la face cachée de la Lune, en passant par la mort.
Et parlons-en, de la mort (Rosebud !), puisque c’est ici la piste “The Great Gig in the Sky” qui semble symboliser ce passage. Et efficacement, encore ! Il s’agit d’un morceau dégageant une puissance phénoménale, tout comme la grande faucheuse contre laquelle on ne peut rien. L’improvisation vocale de Clare Torry (qui s’excusa d’avoir mal chanté en sortant du studio, la bonne blague) évoque ce terrible évènement qu’est la mort avec une voix extrêmement pesante mais tellement agréable, qui évoque par la même occasion un profond orgasme. Dans tous les cas, cette mort fera encore couler plus d’une larme, et les différentes interprétations en live sont souvent d’un grand intérêt. Un morceau magnifique, à l’instar du très bon “Time”, la piste la plus rock de la galette, dont les paroles sont très difficiles a oublier. «Et la, un jour, on se rend compte que dix ans nous sont passés derrière [...] et on court, on court, pour rattraper le Soleil, mais il coule, fait le tour, pour revenir derrière nous. Le Soleil est presque le même qu’hier mais toi tu as moins de souffle et tu t’es rapproché d’un jour de la mort...»
Pour ceux qui ont compris la musique et la vie, à rajouter immédiatement sur votre liste de choses à faire avant 2012 : une écoute de Dark Side of the Moon au volant, avec la belle rousse à coté et après le resto. Merci Messieurs, de nous rappeler le sens de la vie.