Remontés comme une horloge bien réglée, les membres d'Enslaved, ce groupe de black metal déviant et tendancieusement progressif mais pas seulement, refont surface deux ans après la sortie de leur précédent opus Vertebrae. Etant donné que le groupe enchaîne les bons, voire très bons albums depuis maintenant un certain nombre d'années, une certaine attente entoure forcément la sortie de leur nouvel opus intitulé Axioma Ethica Odini. Du black métal qui mute en rock parfois carrément pop sur Ruun, des atmosphères ambient avec un Vertebrae très agréable mais un peu diffus... Où nous emmènent-ils à présent ?
La note de cet album ne laissant aucune place à un quelconque suspense, autant l'annoncer tout de suite haut et fort : Axioma Ethica Odini est un sans-faute. La qualité du premier morceau "Ethica Odini" est un bon présage auquel on peut se fier sans crainte. Vis-à-vis des productions précédentes, l'ordre du jour en ce qui concerne les compositions n'est pas donné à un changement d'orientation radical : Enslaved poursuit son évolution un peu en marge des courants traditionnels, toujours en incorporant dans ses morceaux des atmosphères d'ambient et des éléments à tendance progressive, ainsi que des riffs concis et bien plantés. Le groupe évolue de manière cohérente et ce dernier opus atteint en quelque sorte une certaine forme d'aboutissement dans la direction qu'Enslaved a choisi depuis quelques albums. Mais surtout, le groupe a retrouvé tout le punch qu'il avait un peu laissé au vestiaire sur Vertebrae : l'énergie est là toute entière et bien dosée pour conduire des compositions dynamiques. "Ethica Odini", "Raidho", "The Beacon"… l'album commence véritablement en puissance. Les hurlements auxquels nous a habitué Grutle Kjellson sont toujours présent avec bonheur tout en laissant une place non négligeable aux mélodies en chant clair qui se modulent par petites touches, soit en voix atmosphériques comme sur le refrain nébuleux de "The Beacon", soit en ligne vocale principale sur le très posé "Night Sight", entre autres.
Les quatre premiers morceaux de l'album ne lâchent rien ni en intensité, ni en rigueur, ni en concision dans les compositions. Et ce malgré que les morceaux dépassent aisément et comme à leur habitude la demi-douzaine de minutes. "Waruun" se positionne un peu en contre-point en venant développer son introduction sur un mid-tempo particulièrement pesant, qui passera ensuite par des plans ambiants puis un peu plus extrêmes. Tout à fait en milieu d'album, "Axioma" revisite sans prétention l'exercice de l'interlude ambient avec un court morceau à l'atmosphère reposante et un peu futuriste. Deux minutes vingt finalement agréables et qui trouvent leur place justifiée dans la progression de cet opus. Car la deuxième moitié de Axioma Ethica Odini joue sur une tonalité différente du début de l'album. Les quatre derniers morceaux sont caractéristiquement plus posés et plus mélodiques. "Giants" est le morceau le plus lent de l'album et ne s'éloigne pas tant que ça d'un doom/death sombre et dépressif. Les riffs principaux sont généreusement répétés, les growls sont profonds et les lignes de chant clair indolentes. "Night Sight" est un peu la ballade de l'album, qui commence doucement sur des riffs clean, un jeu de batterie aéré et un chant clair. Ce qui ne veut pas dire qu'Enslaved en oublie ses vieilles leçons de métal pour monter des passages hurlés et blastés, histoire que l'on ne s'ennuie pas non plus. Enfin, un peu moins mélancolique mais respectant le même principe de mélange d'atmosphères et de degrés d'intensité variables, "Lightening" est un excellent titre de clôture.
Il est fort possible qu'il suffise d'une seule écoute à certains auditeurs pour saisir l'esprit de Axioma Ethica Odini. Parce que les compositions sont bien menées, efficaces, dans la continuité de ce qu'à pu produire Enslaved précédemment. Néanmoins, à cette première impression de facilité peut être liée la crainte de faire très rapidement le tour de l'album, de lui trouver un manque de profondeur après à peine quelques écoutes. Heureusement, Axioma Ethica Odini déjoue ce piège grâce à la diversité des morceaux qu'il propose et à l'évolution des atmosphères entre le début et la fin de l'album. On distingue très clairement deux volets, pas complètement indépendants l'un de l'autre mais qui se différencient par leur dynamique plus ou moins énergique. La deuxième raison qui expliquerait l'immédiateté de Axioma Ethica Odini, c'est la parenté musicale avec un groupe de métal extrême mélodique et progressif comme Opeth : le jeu d'alternance entre les parties hurlées et chantées, les riffs mélodiques, les ambiances à la fois planantes et très mélodiques. La filiation sur certains passages est absolument flagrante. Sur le morceau "Night Sight", Katatonia n'est pas non plus très loin. Mais ces ressemblances ne suffiront pas à gâcher ou à diminuer – allez, peut-être un chouilla tout de même – la performance malgré tout exemplaire que nous délivre Enslaved sur ce nouvel opus. La personnalité typique du groupe est toujours là, bien reconnaissable, et là réside l'essentiel.
Axioma Ethica Odini est un excellent album, bien équilibré, suffisamment varié et, le plus important mais qui va de soi, très bien inspiré. Certains trouveront peut-être à redire sur les similarités de son avec un groupe comme Opeth, mais difficile de remettre en question l'intégrité d'Enslaved tant l'évolution semble cohérente et surtout, préserve la personnalité du groupe. Avec Axioma Ethica Odini, Enslaved frappe à nouveau un grand coup : puissant, précis, bien placé. Enthousiasmant.