Entre l'inattendue renaissance d'Overkill, le magistral retour d'Heathen et la spectaculaire démonstration de force d'Exodus, on peut d'ores et déjà classer l'année 2010 parmi les très bons crus du thrash. Et encore, on attend impatiemment les nouvelles livraisons des infaillibles Death Angel (pourvu que je ne leur porte pas la poisse…), des revenants de Forbidden et des fantasques Testament. Autre vétéran sur le pied de guerre, Annihilator, l'éternel outsider dont le talent n'a d'égal que l'inconstance. Le père Waters saura-t-il se mettre au niveau ?
C'est avec "The Trend" que s'ouvrent les hostilités. Enfin, hostilités, façon de parler : l'intro est plutôt douce, avec un riff heavy agrémenté d'une mélodie de guitare lead particulièrement lumineuse, avant de partir sur un solo, le premier d'une très longue série. Voilà un procédé utilisé un paquet de fois par Jeff Waters par le passé, le premier exemple me venant à l'esprit étant "Torn" sur Waking The Fury. Cela signifie-t-il qu'on repart pour un album foncièrement plus heavy que thrash, à l'instar de Metal, le dernier effort en date d'Annihilator ? Et bien pas du tout. Le Jeff Waters cuvée 2010 est très énervé, et il a envie de montrer à ses petits camarades que lui non plus ne s'est pas ramolli avec l'âge. Alors du coup, passé les deux minutes d'intro, c'est parti pour la baston. Dans le plus pur style Annihilator toutefois : on envoie le bois, mais on n'oublie pas de faire péter le break mélodique qui permet au maestro de faire admirer sa dextérité guitare en main. Et hop, 7 minutes qui passent comme une lettre à la poste !
Dans la foulée, Annihilator enfonce le clou en 2 temps. D'abord avec "Coward", une sorte de modèle réduit de "The Trend" : plus courte, plus ramassée, mais aussi plus explosive avec son riff épileptique. Et ce break martial ! Et ce n'est rien à côté de ce qui va suivre. Le bourdonnement de la basse au début de "Ambush" annonce l'arrivée imminente d'une tempête, mais c'est carrément un ouragan qui s'abat sur nos tronches. Point de passage mélodique ici, juste 3 minutes de pur thrash old school in your face : un riff sauvage à la Slayer, un refrain de bourrin à la Exodus, et une pointe de virtuosité à la Megadeth sur le solo. Ca faisait un bout de temps qu'Annihilator n'avait pas sorti un morceau aussi rentre-dedans, sans doute depuis "Rage Absolute" sur All For You. On saluera la production du père Waters, qui peut paraître un peu cheap par rapport aux standards actuels, mais qui colle parfaitement à la folie furieuse ambiante. Ca nous change de l'habituel gros son à la Andy Sneap, généralement trop massif pour les morceaux rapides.
Petit bémol, les autres titres thrash ne sont pas tout à fait du même calibre. Le caméléon Dave Padden imite James Hetfield à la perfection sur "Death in Your Eyes", mais le morceau en lui-même n'est pas spécialement marquant malgré une accélération sur le couplet fort jouissive et un break mélodique (encore un !) de toute beauté. Même problème sur "Payback", un peu lourdingue à la longue sorti d'un ou deux gimmicks sympa comme la rythmique groovy à la "Blood Red" de Slayer au début du break. À la limite, dans un registre un peu différent, "25 Seconds" s'avère nettement plus convaincante. Une structure étrange, qui alterne un passage relax à la basse qui n'est pas sans rappeler "Good Friends and a Bottle Of Pills" de Pantera, un refrain hyper hargneux à la frontière du core sur lequel Padden s'arrache les cordes vocales, et un refrain bourrino-groovy là aussi à la Pantera, sans oublier le break thrash frontal avec un solo supersonique typiquement Watersien. Un titre assez original, qui a le mérite de sortir un peu des sentiers battus.
Là, vous devez vous dire « tiens, pas une trace de heavy sur cet album ?» Mais si, patience, j'y viens. Premier extrait stratégiquement placé : après la déferlante thrash du début, "Betrayed" sonne comme accalmie bienvenue. On pourra regretter un peu l'aspect très basique du morceau, mais cette petite pause mid tempo reste de bonne facture. Dans un registre similaire, "Nowhere to Go" s'en sort un peu mieux grâce à un refrain plus convaincant, avec une mélodie sympa à la guitare en son clair qui souligne la belle ligne vocale qui met Padden en valeur. Dans la foulée, place à la plus pêchue "The Other Side". Dans l'idée, le riff et la rythmique font pas mal penser à du Megadeth récent comme "Blackmail the Universe" ou "Sleepwalker" (de toute façon il s'agit d'un seul et unique titre…), mais avec un vrai refrain, une vraie mélodie vocale et du vrai chant, n'est-ce pas M. Mustaine… Pour finir, une petite récréation avec une reprise du "Romeo Delight" de Van Halen, en tout point semblable à l'originale, mais néanmoins fort sympathique.
Et bien voilà, on osait à peine l'espérer, et c'est encore une sortie thrash (mais pas seulement) à ne pas manquer en 2010. Les intégristes du thrash risquent d'avoir toujours autant de mal avec le style Annihilator, trop mélodique, trop heavy, trop le cul entre deux chaises ; mais pour les inconditionnels du père Waters, c'est du petit lait. Annihilator ne s'est pas réinventé sur ce nouvel album, qui reprend pas mal de ficelles déjà utilisées par le passé, que ce soit au niveau riffs, son, mélodies ou solos aux confins du shred ; mais voilà, tout cela est mis au service de compos plus inspirées que sur les derniers efforts des Canadiens et surtout plus constantes au niveau qualitatif. Leur meilleur depuis… pfiou, au moins ça.