Cinq années. Il aura fallu cinq années au King et à LaRocque pour se rabibocher, tirer un trait sur les problèmes de drogue du passé, faire table rase de l’ancien line-up et recruter de nouveaux membres tous frais, tous beaux. Durant ces cinq années, King Diamond s’est occupé de son autre bébé Mercyful Fate, murissant sans doute un retour fracassant. Et The Spider’s Lullabye est né. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’est pas l’album le plus apprécié par la critique et les fans du bonhomme, peut-être bien à tort, justement…
Car The Spider’s Lullabye est l’un des meilleurs albums du maître de l’horreur et de son très fidèle serviteur, Andy Larocque. C’est donc un peu dommage qu’il commence avec les deux titres les plus faibles de la galette, "From the Other Side" et "Killer". Malgré de bons riffs, des lignes de chant parfois très efficaces, il faut reconnaitre qu’ils ne soulèvent qu’un enthousiasme très mesuré, surtout lorsque l’on sait ce que le reste de l’album nous réserve. C’est souvent à ce moment-là de l’écoute que l’on réalise que The Spider’s Lullabye n’est pas un concept album – fait rarissime avec le King. Seuls les quatre derniers titres sont réunis sous une même histoire, que nous évoquerons tout à l’heure. Mais bien sûr, même au sein des titres isolés, les thématiques restent fidèles à celles chéries par King Diamond : l’au-delà pour "From the Other Side" et la peine de mort pour "Killer", qui met en scène un tueur qui « va recevoir ce qu’il mérite »* et « n’a plus que moins d’heure à vivre ». Malgré son introduction, ce titre ne propose rien d’original – si ce n’est la voix toujours aussi unique et reconnaissable de King Diamond…
Voix qui se pose à merveille sur "The Poltergeist", là où commencent les choses sérieuses. De l’introduction à l’orgue aux imparables lignes vocales du refrain, on retrouve le grand King avec un plaisir évident. Comme son nom l’indique, ce titre évoque un poltergeist « vivant dans ma maison » dont le King ne sait pas s’il est « un ami ou un ennemi » mais lui demande « de lui parler ». Nous retrouvons ici les solos et autres interventions guitaristiques de LaRocque, en grande forme, comme la suite le montrera. Et cette fois, contrairement à The Eye qui laissait un peu de couette aux compères LaRocque-Diamond, tous les titres et les paroles sont exclusivement composés par l’un ou l’autre – ou les deux – pour le plus grand bonheur des fans connaissant l’inspiration souvent heureuse de King Diamond, qui écrit ici - tout de même - sept titres sur dix.
Inspiration qui transpire dans "Dreams" et ses couplets surmontés d’une basse pour l’occasion – fait relativement rare chez King Diamond – mise en valeur avec cette ligne galopante. Une fois de plus, le caméléon vocal qu'est le King varie les tons, se montrant tantôt mielleux, tantôt inquiétant et tantôt agressif. Dreams évoque une personne hantée par ses rêves qui « le rendent fou » et qui « ne peuvent pas attendre qu’il éteigne la lumière » pour se manifester. Malgré une musique efficace, c’est là que l’on peut se rendre compte que King Diamond se sent manifestement un peu à l’étroit lorsqu’il s’agit d’écrire pour une unique chanson, son talent de parolier prenant tout son sens dans ses habituelles sagas horrifiques, avec personnages et situations variés. Le même défaut sera visible avec "Moonlight", aux paroles peu inspirées où « dans la lumière de la nuit, je vois des enfants cherchant leurs âmes ». Là encore, donc, un titre un tantinet faiblard qui fait office d’échauffement pour une suite de toute beauté.
"Six Feet Under", titre sombre et rapide, redonne ses lettres de noblesse à The Spider’s Lullabye avec l’histoire d’un homme qui réalise qu’il est six pieds sous terre car « sa famille n’a pas pu attendre », et qui peut voir « ma chère sœur qui rit de moi » - donc bien sûr, il « promet de revenir la hanter ». Solos à profusion, variations de thèmes, et un King Diamond décidément en grande forme permettent de faire de ce titre une des nombreuses réussites de l’album. Ce genre de perle, servie par une production fort réussie – bien plus équilibrée que celle de The Eye – fait la part belle au talent de notre duo, éclipsant presque celui des autres musiciens de l’album, dont tous sont retournés depuis à l’oubli dont King Diamond les a tiré durant moins de trois ans, avant de les remplacer eux aussi…
"The Spider’s Lullaby" ouvre donc la « quadrilogie » qui clôt l’album en beauté. Déjà plus à l’aise dans l’écriture (musicale et textuelle), King Diamond n’hésite pas à renforcer les artifices de mise en scène : changements de voix, dialogues, clavecins, synthés et narrations chantées, le tout soutenu par des compositions ciselées de main de maitre, et elles aussi bien plus théâtrales et travaillées que le reste pour mettre en scène cette macabre histoire de phobie : car « c’est très triste pour Harry, il a une trouille bleue des araignées, même les plus petites espèces le font se sentir mal à l’aise », le décidant à se faire soigner ("The Spider’s Lullaby"). « C’était dans les journaux locaux : "nous guérirons toutes vos phobies au Sanitarium de Devil Lake" ». Ni une ni deux, Harry prend rendez-vous avec le Dr Eastmann qui l’accueil « à bras ouverts » et lui demande juste de « signer ce papier » qui lui donnera « la liberté dont il a besoin » pour les soins de son patient…("Eastmann’s cure").
C’est dans "Room 17" que tout arrive : l’histoire du King mais aussi le point d’orgue de cet album. Plus de huit minutes au compteur (fait rare dans la carrière de King Diamond), ce titre est une perle dans la discographie de l'artiste. King Diamond y est impérial, effrayant et sadique à souhait. Rarement la musique aura été aussi grandiloquente et sinistre, sans jamais se départir de son petit côté kitsch tout à fait assumé, ambiance de série B ou de série d’épouvante bon marché. Ce pauvre Harry y découvre les méthodes du Dr Eastmann, qui met en présence de Harry un grand nombre d'espèces d’araignées « juste pour voir comment il se sent quand elles sont aux alentours ». « Noires, marrons, grises et poilues… nous les avons toutes… grosses, petites, rapides et effrayantes, yeah nous les avons toutes… ». Les auditeurs que ces sales bêtes impressionnent apprécieront le sadisme du docteur. Evidemment, Harry « ne pouvait pas gagner »…malheureusement, en quittant la cellule 17, le docteur et la nurse « oublièrent la grise, elle était pleine d’œufs et a trouvé un endroit chaud dans le cou d’Harry ».
Ce pauvre Harry se plaindra le lendemain de la voix génialement geignarde et tout à fait à propos de King Diamond qu’il a « cette douleur étrange et qu'il se sent bizarre du cou », sans doute que « l’autre nuit une de vos araignées a dû me piquer »…Bien sûr, le vil Eastmann n’en croit pas un mot, et « la nuit suivante, Harry mourut. Lorsqu’ils le trouvèrent, il était gris et blanc… ». Pauvre Harry… "Room 17" se termine sur le docteur donnant l’ordre de l’emmener à la morgue. Théâtral, riche et composé de main de maitre, ce titre cristallise tout le talent du King à manier l’horreur et à la marier avec le heavy metal, l’une et l’autre se mêlant et se donnant réciproquement du cachet. Du grand art. "To the Morgue" clôt donc ce grand et talentueux album avec cette atmosphère poisseuse et lente. Persuadé que « Harry est mort d’une trop grande peur », Dr Eastmann ne remarque pas l'araignée « pondre ses œufs dans le cou de Harry ». La vengeance de Harry surviendra sans doute plus tard, car dans la cave se trouvent maintenant « mille créatures empoisonnées, huit mille pattes empoisonnées »…
The Spider’s Lullabye est un album atypique dans sa forme pour une œuvre du King, légèrement inégale mais tutoyant la plupart du temps les sommets du heavy metal épique et théâtral. Pourtant, il ne fut que peu apprécié de la communauté métalleuse, lui reprochant sans doute son côté trop exacerbé, n’ayant pas peur de flirter avec le ridicule – ce dernier aspect étant sans aucun doute l’un des ingrédients majeurs de la réussite de cet album. King Diamond semblera l’avoir compris en revenant un an plus tard avec The Graveyard en allant encore plus loin dans son personnage. Plus loin qu’il n’aura jamais été…
*toutes les phrases entre guillemets sont traduites des paroles de l'album.