Enregistré à la va-vite, avec des musiciens pas tellement concernés, davantage occupés à se prélasser sur les plages monégasques, Ian Anderson s'est souvent retrouvé seul en studio. Si War Child avait déjà été composé dans son intégralité par Ian Anderson, il avait pu bénéficier après de l'apport des autres musiciens pour les arrangements, comme c'était le cas jusque là de chaque album de Jethro Tull. Sur Minstrel In The Gallery, les musiciens se sont juste contentés de jouer note à note les compos de Ian Anderson, sans rien apporter de plus, et ça s'entend, surtout pour les claviers de John Evan, très en retrait. Du coup, Jethro Tull se retrouve le cul entre deux chaises, un peu perdu entre la simplicité de War Child d'un côté et la complexité des concept-albums qui lui ont précédé !
On sent pourtant une volonté de renouer avec des morceaux plus alambiqués et c'est justement ces morceaux là qui posent problème. Leurs constructions sont maladroites et donnent l'impression de différentes parties assemblées les unes après les autres, sans réel lien entre elles, ni fil conducteur. Il s'agit là probablement d'une des conséquences de l'absence de travail en groupe et c'est surtout vrai pour les parties instrumentales plutôt décousues sur Minstrel In The Gallery (dont la fin tourne vraiment en rond, malgré des riffs proches du hard rock), et surtout sur Black Satin Dancer (au milieu de ce titre, le thème orchestral aurait pu être intéressant si il n'avait pas été répété jusqu'à écœurement, accéléré puis ralenti, etc...).
Dommage car Ian Anderson semble déborder d'inspiration, les ingrédients folk-rock-prog sont bien là. D'ailleurs, les morceaux les plus courts sont tous très réussis, que ce soit le dynamique "Cold Wind To Valhalla", très riche en influences (hard rock d'un côté, folk et tzigane de l'autre) ou les mélopées acoustiques "Requiem", avec ses arrangements orchestraux romantiques, "One White Duck" aussi, magnifique (probablement le seul titre de cet album repris en live dans les tournées les plus récentes), enchaîné avec "O10 = Nothing At All". Rien qu'avec ça, Minstrel In The Gallery aurait facilement pu surpasser War Child, ne serait-ce que par la volonté affichée de faire un disque plus ambitieux.
Seulement voilà, la tentative d'un nouveau long morceau, "Baker St.Muse", 16 minutes 40 au compteur, s'avère être un ratage sur toute la ligne. Certaines parties de "Baker St.Muse" sont pourtant très concluantes, rien qu'avec le début ("Pig-Me And The Whore"). Mais les enchaînements entre chaque partie sont ratés, il ne suffit pas d'assembler vulgairement plusieurs parties entre elles pour faire un bon morceau. Ici, on alterne à l'infini acoustique-électrique acoustique-électrique, le Tull tourne méchamment en rond, déjà que l'album en lui-même n'apporte rien de nouveau. A croire que la recette magique des Thick As A Brick et A Passion Play se soit perdue en route, ces derniers ayant l'avantage d'être parfaitement construits, avec des enchaînements logiques et cohérents, sans parler de l'originalité et de l'effet de surprise qui jouent évidemment en leur faveur.
Ce n'est pas un hasard si, sur les albums suivants, Jethro Tull se concentrera essentiellement sur l'écriture de chansons courtes et simples, sauf rares exceptions (Velvet Green, Heavy Horses, Dark Ages, Black Sunday, Budapest...). Probablement conscient de ne plus maîtriser l'exercice du concept-album, de ne plus vouloir se forcer à caser 50 000 idées différentes sur deux faces de 20 minutes chacune... en attendant, il apparaît bien difficile de retenir quelque chose de ces longs morceaux (Minstrel In The Gallery, Black Satin Dancer, Baker St.Muse), une mélodie, un riff, tellement leurs constructions sont bâclées.