Il y a peu de temps encore, lorsque l’on m’a posé la question de ce qui dans le metal pouvait me séduire, dans cette matière sonore où bien des consciences ne croient toujours qu’à l’existence d’éructations hautement blasphématoires, à des brutalités de poulpes boostés aux endorphines cachés derrières des fûts monstrueux, à des gratteux nous injuriant tous autant qu’ils sont d’accords lacérés et assourdissants, portant insolence ultime au sacro-saint solfège et violant toute harmonie, à un décorum ouvert sur Dieu seul sait (ndlr : ahah) quelle orgie satanique… lorsque l’on m’a demandé ce qui pouvait me toucher dans cet univers musical si prétendument hostile, j’ai songé à un groupe qui m’a accompagnée, du jour de sa découverte à l’instant où je compose ses lignes, nourrissant de ses notes mille souvenirs, telle la poussière du festival que j’ai aimé arpenter lorsque sa musique s’est élevée la première fois, le regard que j’ai porté à travers une fenêtre, un soir, où prise de nostalgie, je me perdais dans ses nappes ; encore, l’intensité d’un bonheur suave ou la croix de quelques chagrins qu’elles ont tantôt accompagnés, et tant d'autres sensations propres à ma conscience et indescriptibles… À cette question, « qu’est ce qui peut être beau dans le metal », j’ai répondu : Klone.
Exemple docte, que le nom de ce groupe de metal progressif, qui s’imposait avec évidence à mes yeux et dont le propos dépasse de loin même la simple notion de séduction. Et voici que de lui-même, Klone vient jusqu’à étayer mon propos, en nous offrant ce jour un manifeste absolument sublime de sensibilité : Unplugged. Projet en germe de longue date, c’est à l’occasion d’une première partie du concert d’Anneke Van Giersbergen, au Théâtre de la Coupe d’or de Rochefort (Charente-Maritime), que l’instant a été enfin saisi. Les guitares électriques regagnant leur écrin pour céder la place aux cordes cristallines des manches folks, un accordéon s’invitant, ponctuant les compositions d’un étrange souffle de tendre nostalgie, sans jamais affleurer la mièvrerie, et la voix conservant sa place, simplement fascinante. Onze titres composent à présent ce disque, issus majoritairement des superbes Here Comes the Sun et The Dreamer’s Hideway (dont votre modeste chroniqueuse ne conçoit pas se lasser un jour) et réarrangés avec grand soin, ainsi que deux covers enrichissant l'ensemble. Si la transposition acoustique des deux opus susmentionnés pouvait apparaître « aisée » à mener - la prime écoute des morceaux mis ainsi à nu, confirmant amplement l’excellence du choix – il n’était pas donné pour autant que l’émotion en jaillirait avec une intensité comparable à celle des compositions soutenues par la saturation originelle. Naguère, tel le crieur public qui invite très justement l’auditoire à rire, pleurer, frémir ou applaudir à l’instant opportun d’une performance, l’amplification électrique nous guidait, appuyant avec science sur le déclencheur de nos sensations. Mais aujourd’hui, les morceaux, vidés de tout artifice, nous offrent le temps de nous concentrer pleinement sur leur véritable charme intrinsèque. La force de ces titres ne nous apparait qu’avec plus d’éclat. Il n’est donc plus de doute permis.
Ainsi, non content de nous offrir des morceaux épurés de toute fioriture, s’enchainant avec une fluidité et une grâce époustouflante, Klone nous insuffle un concentré d’émotions renouvelées. Je pousserai même le vice plus loin : naît ici un sentiment de plus grande profondeur, car l’émoi suscité par les mélodies franchit, plus doucement, mais plus sûrement, la barrière d’un épiderme supplémentaire et vient graver plus intensément en nous le sentiment merveilleux qui jaillissait déjà par le passé. Pour invite initiale, rien de moins que l’inénarrable "Immersion". Comme la première phrase d’un roman écrit avec talent, à lui seul, il symbolise les délices qui vont nous saisir au cœur de cette superbe offrande. Comment en effet à cette heure ne point être pleinement saisis par le charme de "People are People" ? Et durant l’écoute de "Nebulous", ne fantasmerions-nous point que nos propres doigts calleux frottent les cordent et imposent dans l’air densifié qui nous frôle intimement, des accords si naturels ? L'immersion est si aisée. Peut-on songer résister à l’emportement de nos sens à l’évocation d’"Into the Void", tant la passion est portée ici à son comble, ne serait-ce qu'au creux de cette voix qui, proprement, ébranle ? Et tout ceci avant de se laisser conduire vers l’incomparable "Rocket Smoke", qui conquiert ici une nouvelle touche de splendeur, car s'il est un morceau dont l'inédit dépouillement révèle le caractère, il s'agit bien de ce dernier. Tour à tour, chacun des titres surprend, saisit et transporte. Pour parachever l’instant qui s’égraine comme un rien, cette piste incroyable, "Summertime", posée ici, à la toute fin, n’inspirant à minima que le regret infini de voir bientôt le silence reprendre son siège outrageant.
Quant à conclure ? La chose est malaisée, tant il y aurait à dire. Mais il me semble à propos de reprendre mon écoute de ce superbe album qu’est Unplugged, car j’aime l’idée de me complaire encore dans l’atmosphère feutrée et savoureuse dont il sait m’envelopper, croire que je me glisse derrière le rideau de pourpre d'un théâtre que je ne connais pas et imaginer que j'assiste à l'instant où les notes ont été recueillies. Je ne vous souhaite qu'une chose : de vous laisser conquérir à votre tour.