L'intro d'une chronique d'album a souvent pour objet la présentation de son géniteur. Et dans ce cas précis, les présentations s'avèrent nécessaires quand on voit l'omniprésence de Neal Morse au sein de la scène prog actuelle. Il suffit en effet de jeter un œil au catalogue annuel du label Inside Out pour se rendre compte qu'il se passe difficilement une année sans qu'apparaisse le nom du maître, en solo, en groupe ou en featuring. Leader de Spock's Beard à ses premières heures, rien que ça, puis membre activiste au sein du géant Transatlantic, et enfin carriériste solo multi-instrumentiste après une expérience mystéro-mystique dont nous parlerons plus tard, il faut dire que le CV du monsieur est long comme un bras. Et si on a parfois pu frôler l'indigestion avec un tel rendement d'albums, Neal Morse n'a certainement pas à rougir de sa discographie, tant personnelle que collective puisqu'il s'en dégage une inventivité, une virtuosité mais également un génie comme on en trouve rarement ailleurs. Et si je peux vous rassurer tout de suite, Sola Scriptura ne déroge pas à la règle.
Nul ne pourra dire qu'il ne s'est pas perdu un jour dans les méandres de la discographie du maître. Pour résumer, Sola Scriptura voit le jour après l'excellente trilogie Testimony, One et Question Mark, période propice à Neal Morse puisqu'il jouit alors d'une crédibilité sans faille au sein de la scène prog. Trois albums à la limite de l'irréprochable en seulement trois ans, l'exploit a de quoi faire grincer des dents le plus inspiré des compositeurs. Et si la présence d'invités de prestige comme Mike Portnoy ou encore Randy George a concouru de façon certaine à la production de tels chefs d'oeuvre, on retiendra avant tout le talent et l'inspiration d'un certain Neal Morse. Notre fine équipe décide donc de remettre le couvert en 2007, aidé sur ce nouvel album par Mr Paul Gilbert (Mr Big) venu en renfort. Tous les ingrédients pour faire rêver, mais le danger est alors d'autant plus grand. Et si Sola Scriptura était l'album de trop? Difficile de répondre de but-en-blanc à cette question. Il y a en effet deux façons d'appréhender cet album: l'écouter à travers les oreilles du néophyte et se laisser simplement charmer par la virtuosité qui s'en dégage, ou l'écouter à travers les oreilles de l'habitué aigri et se demander ce que cet album apporte finalement de nouveau.
Pour plus d'objectivité et pour ne pas balayer d'un revers de main le travail colossal qui se cache derrière ce projet, nous choisirons la première option. La première surprise à la découverte de Sola Scriptura, c'est bien sûr sa durée: une heure quinze de musique environ, on peut dire que notre compositeur est loin d'avoir chômé. Deuxième point, le découpage des morceaux. Environ trente minutes pour "The Door", vingt cinq pour "The Conflict" et quinze pour "The Conclusion", on devine rapidement que le menu sera copieux, que les titres seront principalement de nature épique et qu'il faudra par conséquent un nombre non négligeable d'écoutes pour maîtriser un minimum le sujet. Mais dès les premières secondes de "The Door", on se retrouve en terrain connu et il n'y a qu'à se laisser guider par le génie du monsieur. La recette reste globalement la même que pour les précédents efforts. Une introduction dans laquelle on présente rapidement les thèmes, puis un travail de déclinaison où chacun de ces thèmes se voit travaillé en profondeur au fur et à mesure des morceaux. On voyage alors au fil des minutes entre les tonalités, les différentes ambiances, les longues plages mélodiques et celles plus techniques sans y trouver vraiment de frontière, navigant à vue dans un torrent de virtuosité et d'uniformité déconcertante.
La machine est bien huilée, cela ne fait aucun doute. Les trois monuments sont donc des pièces d'excellente facture. Et comme toujours avec Neal Morse, on retrouve cette fameuse ballade, incarnée ici par "Heaven in my heart", dont on ne sait que faire puisque belle, certes, mais n'apportant finalement pas grand chose de plus. Mais si la forme change peu, le fond lui se veut radicalement différent. En effet, si Neal Morse a pu parfois paraître un tantinet mielleux ou niais vu le caractère religieux de ses textes avec une musique à cheval entre une pop et un rock prog un peu gentil (bien que techniquement et mélodiquement irréprochable). C'est une musique d'un tout autre caractère qui nous est présentée ici. La direction tracée est résolument plus rock, voir metal. Les guitares sont saturées à bloc, les fûts de Portnoy percutants à souhait et on se retrouve à savourer sans grande surprise des shreds sortis de nulle part au milieu d'une musique qui ne perd en rien en terme de subtilité. Les arrangements vocaux sont simplement magnifiques, la voix de Neal Morse toujours aussi juste en timbre et en émotion, enrichie par des chœurs et canons dont seul le maître a le secret. En terme d'ambiance, on se laissera enivrer par un savant mélange de rock prog et de pop, agrémenté par-ci par-là de quelques surprises, le meilleur exemple restant les chauds accents espagnols sur les guitares de "The Conflict".
La diversité reste donc à l'honneur, et même si on peut reprocher comme toujours quelques longueurs et passages faciles comme la ballade "Heaven in my heart", c'est beau, propre, accompli, subtil, cohérent. Et au final on ne demande rien de plus. Au niveau des textes, là encore pas de grande surprise : Neal Morse poursuit son évangélisation des foules. Mais là où il a pu agacer ou même exclure une partie de son public à force de « Oh God » compulsifs, c'est un thème plus travaillé qui est décliné sur cet opus. Celui de l'histoire de Martin Luther et de la naissance du mouvement protestant, d'où le titre de l'album Sola Scriptura (l'écriture seule) qui est l'un des cinq Solas du protestantisme. Alors bien sûr, on peut se laisser toucher ou non par ce sujet plus ou moins hermétique, c'est un parti pris certain, mais l'histoire de Neal Morse, et en particulier de la guérison miraculeuse de sa fille détaillée dans l'album Testimony permet de mieux comprendre ce besoin insipide de révérence au très haut. Et si la démarche peut paraître gentille, simplette ou même risible pour certains, elle est à mon sens profondément personnelle, admirable et surtout sincère. Et entre nous si cet abandon à la foi a pu justifier et inspirer de tels albums, alors je veux bien prier chaque heure du jour pour pondre de tels chefs d'oeuvre.
Sola Scriptura est donc un album de plus dans la longue et riche discographie de Neal Morse. Révolutionnaire? Certainement pas. Indispensable? Difficile à dire. Mais une chose est sûre, c'est que même si cet album pourra avoir du mal à justifier son existence auprès de certains par son manque d'originalité, il reste d'une très grande qualité musicale et on ne pourra qu'apprécier son caractère plus rock qui permet d'apporter une petite touche de fraîcheur à une recette ancestrale. Côté musique, on touche encore une fois à la perfection, exception faite de quelques longueurs qui restent finalement le seul défaut omniprésent dans la discographie de l'artiste. Le révérend Morse continue à distiller ses prières en musique et poursuit inlassablement sa quête du très haut, chaque nouvelle offrande nous amenant toujours à la même question : quelle est donc la source de cette inaltérable inspiration ? Après tout, il parait que les voies du seigneur sont impénétrables.