A l'époque on commençait à se demander s'il allait arriver: Peuh! avait déboulé juste un an après le premier album et on n'avait beau ne pas s'en être totalement remis on commençait à trouver le temps long au bout de trois ans. Premier album de Lofofora présentant un line-up identique à celui officiant sur l'album précédent, Dur Comme Fer arriva alors dans les bacs, puis dans nos petits doigts fébriles et nos platines. Et...
... Et il faut avouer que niveau entrée en matière fracassante le titre "Au Secours" n'atteint qu'en partie son but. En partie, car c'est du hardcore bourrin qui claque, mais le titre ne laisse pas une impression de souffle coupé comme "Jazz Trash Assassin" sur l'album précédent. Par contre il apparaît immédiatement que le son a encore fait un pas en avant. Peuh! présentait déjà une prod plus grosse et plus violente que le premier opus du groupe, et Dur Comme Fer continue cette progression. L'album est varié, et la prod sonne parfaitement à la fois dans les passages de haine pure et dans les moments ambiancés. Un très bon point également pour le chanteur Reuno, qui dès sa première phrase («Regarde tomber les étoiles!») prouve qu'il a encore fait des progrès dans sa spécialité, le chant hurlé semi-mélodique extrêmement puissant et haineux. Une spécificité: le son de basse est saturé, ce qui épaissit beaucoup le son, mais sonne parfois d'une manière étrange.
Varié ai-je dit? J'aurais pu dire expérimental. La vraie première claque de l'album arrive en deuxième titre (on peut faire comme ça aussi, c'est vrai), elle s'appelle "Charisman", et tranche tout de suite avec le titre précédent. "Charisman" sonne le retour de l'ambiance chez Lofo, avec un couplet tirant sur le dub sur lequel Reuno retrouve ce phrasé rap mélodique qui était presque absent de Peuh!, album orienté hurlements. La guitare reggae puis hardcore sur le refrain avec chant hurlé renoue avec la formule en modulations du premier album, à deux différences près. Première différence : ici on est dans l'ambiance pure, un groove au service de la lourdeur mélodique qui suinte. Deuxième : le texte, enjôleur, génial, d'un niveau qui réussit encore à remonter la barre fixée par le parolier sur ses albums précédents. Hop, un titre culte, emballez c'est pesé, et Mme Michaux qu'est-ce que je lui sers?
"Série B" tape aussi pas mal dans la mouvance hybride hardcore/néo/groovy: en fait Lofo a visiblement tenté de se renouveler avec cet album, car dans le genre brutal Peuh! avait tout dit. Donc plutôt que de tenter de ressortir la recette gagnante, Lofo mélange les composantes qui ont fait son identité en deux albums et tente de nouvelles approches au passage. Le résultat surprend souvent. "Dur Comme Fer" (la chanson) commence par des riffs zarbis, enchaîne sur un couplet mélodique complètement posé et ciselé, pour ensuite partir sur un pont aux sonorités electro et ressemblant à une imprécation mystique. Puis le hardcore efficace revient, et la chanson se termine ainsi sur une note puissante. Le texte, au passage, relève de la poésie pure et Reuno le déclame : il ne rappe pas, il dit son texte. C'est beau.
Dur Comme Fer comporte également des titres hardcore qui cognent et qui renouent aussi avec le punk par moments, comme le titre d'ouverture "Au Secours", "Un Million", "Rêve et Crève en Démocratie" et "5 Millards". Le problème, c'est que ces titres sont sympas sans plus, et qu'ils sont les moins intéressants musicalement. Ça reste efficace et violent, mais il manque la touche de génie des brûlots de Peuh! Exceptions: le dernier cité est un titre-piège qui commence assez mal mais qui part ensuite dans une déferlante speed de haine qui n'a de défaut que d'être trop courte. Et je dois évidemment mentionner "Les Gens", autre hymne de l'album, compo exemplaire de brutalité intelligente et rouleau compresseur en live.
Il reste que les titres expérimentaux et/ou ambiancé sont une sacrée réussite. "Les Liquides De Mon Corps" est un poème mis en musique d'une manière hypnotique et orientalisante, un des titres les plus ambitieux et réussis du groupe. Et enfin le classique "Weedo" qui combine un hardcore vicieux dans les couplets avec un pont et un refrain tous les deux cultes: le groupe semble trouver d'un seul coup la formule ragga(chant) / hardcore (riffs) parfaite, c'est absolument irrésistible. Du titre du morceau aux «Legalize it!» hurlés, Reuno qui est connu pour fumer des cigarettes de drogue illégale sur scène pendant les concerts (systématiquement passés par le public) défend son point de vue et avec son groupe signe une compo qui est aujourd'hui un passage obligé en concert. La jam rap finale avec Kabal "p.m.g.b.o" est anecdotique, l'esprit étant plus on se fait plaisir entre potes que de révolutionner le propos même si le titre se développe sur la longueur.
Conclusion : Dur Comme Fer est un album inégal à tendance bon voire très bon par moments. La présence de classiques énormes sur un album est toujours un plus, et cet album de Lofofora en propose un nombre honorable. Un certain nombre de titres plus anecdotiques parsèment cette galette, et musicalement on se trouve parfois face à des parties moins inspirées ("Incarné"). Par contre, et je dois y revenir, le niveau de la totalité des textes sur cet album est hallucinant. Chroniques au vitriol de la société, délires personnels, discours argumentés tenant à l'essai, fictions pures, Reuno excelle dans tous les registres. L'intelligence du propos fait partie intégrante de Lofofora, au même titre qu'un riff de guitare, et Dur Comme Fer est un recueil ce que Lofo avait écrit de mieux à l'époque. Et même si l'album n'est pas excellent d'un bout à l'autre, la prise de risque et la recherche, elles, sont omniprésentes.