Loin du faste de la fin des années 80, Kreator continue de tracer sa route comme il l'entend et reste imperméable aux critiques des vieux fans. Continuant leur périple expérimental avec un Vetterli désormais bien intégré et qui co-signe quasiment toutes les musiques, les Allemands surprennent une nouvelle fois en jetant leur dévolu sur un genre tout nouveau pour eux : le metal gothique, qui côtoie sur cet album un heavy metal un peu moins indus' mais toujours aussi sombre.
Évidemment, pour aborder un virage aussi délicat, Kreator se devait d'opérer sa mue. On en a rapidement la confirmation, qui apparaît très clairement au bout d'à peine une minute : Petrozza CHANTE ! Bien sûr, le gaillard n'a pas complètement changé du jour au lendemain et ne se prive pas pour placer ses légendaires vociférations dès le refrain du même titre ou sur le speedé "Shadowland" (assorti d'un magnifique solo de maître Vetterli). Bien sûr, ses cours de chant ne lui ont pas donné l'aisance des plus grands, et il se montre hésitant et même parfois très limite sur certains passages. Néanmoins, l'effort méritait d'être salué et Kreator y trouve là de nouvelles perspectives impossibles jusque là. C'est en tout cas l'impression qui se dégage sur l'impeccable "Passage To Babylon", lorsque sur une explosion de guitare, le « Come to Babylon with me » enjôleur et quasi mystique se voit compléter par un « Now come ! » démoniaque. Vu la teneur générale du texte, on croirait vraiment entendre le diable en personne tenter toutes les manœuvres pour nous attirer de son côté !
Comparé aux dernières œuvres de Kreator, l'ambiance générale se veut légèrement différente. On trouve toujours quelques textes apocalyptiques, à l'image du morceau titre interprété en duo avec Tilo Wolff de Lacrimosa, indéniablement l'un des plus agressifs de l'album et par ailleurs l'un des plus réussis (« Endorama is crushing you, this is the end ») ou bien de "Pandemonium" (« And now your world is burning (…) Inferno has arrived »). Quant à "Everlasting Flame", il nous présente une vision carrément désespérante de la vie. Dommage que les claviers un peu balourds à la fin ne soient pas à la hauteur de la sublime intro au piano ! En revanche, ces aspects sombres et pessimistes sont cette fois contrebalancés par des lueurs d'espoir complètement impensables sur un album comme Outcast. Que ce soit sur le très basique "Golden Age" (« The coming of the golden age for all »), "The Chosen Few" (« A new era has begun ») ou "Shadowland (« This is a new dawn rising »), voilà autant de signaux qui témoignent de la volonté renouvelée de Petrozza d'aller de l'avant plutôt que de continuer à se morfondre.
Pour leurs premiers pas dans le metal gothique, il y parfois de quoi être sidéré par la qualité des mélodies composées par le tandem Petrozza/Vetterli. Cela se traduit parfois par un simple riff pas forcément original mais en tout cas très réussi ("Tyranny"), parfois par un morceau complet comme "The Chosen Few" et son superbe refrain, un des rares titres chantés de façon posée du début à la fin. Et puis il y a des moments où la grâce opère, tout simplement. Votre serviteur a beau être un indécrottable fan de thrash allemand le plus primaire, il ne se transforme pas moins en pucelle tremblante dès lors que résonnent les premières mesures de "Willing Spirit". Voici un refrain dont la beauté des arrangements continuent de me coller le grand frisson près de 10 ans après sa sortie. Paradoxalement, malgré toutes ces nouveautés, Endorama sonne tout de même comme une fin de cycle. En effet, Petrozza et sa horde semblent désormais mûrs pour opérer un retour glorieux à leurs racines thrash, à l'image de "Soul Eraser" : riff tranchant, texte bateau, voilà qui aurait pu faire une tuerie thrash avec d'autres arrangements.
Avec Endorama, Kreator met un terme de la plus belle des façons à près d'une décennie d'expérimentations en tous genres. Dans un style complètement inattendu, le groupe a su tirer son épingle du jeu et proposer toute une ribambelle de morceaux de haut niveau, y compris dans un registre faisant la part belle à l'émotion ! Si mes souvenirs de l'époque ne me trahissent pas, la chronique de Hard n' Heavy s'achevait en ces termes : « Un sublime album de heavy metal ». Je ne l'aurais pas mieux dit.