Renewal. Rarement un album n'aura aussi bien porté son nom. Et pourtant, nombreux sont les groupes de metal qui ont déjà eu recours à ce genre de subterfuge pour symboliser des changements aussi radicaux qu'une prise de position de François Bayrou. On ne compte plus les Rebirth et autres Resurrection. Sauf que chez Kreator, on ne fait pas les choses à moitié. Et quand Petrozza décide de modifier son approche de la musique, il le fait à l'instar de ses anciens albums : à fond !
Bien plus qu'un simple virage musical, c'est tout l'état d'esprit de Mille Petrozza qui a évolué au moment de donner une suite au fabuleux Coma Of Souls. « Renewal of my Mind », comme le clame le morceau-titre. Ce changement s'affiche avant même d'insérer le CD sur la platine, avec cette pochette étrange et ces portraits arty des musiciens au rendu assez… original. C'est vraiment histoire de ne pas dire « moche », votre serviteur n'ayant jamais été très sensible à l'Art moderne. Sur le plan musical, le changement sera lui aussi spectaculaire. L'ambiance n'était déjà pas à la fête sur les précédents méfaits du groupe, mais c'est une ambiance carrément pessimiste qui pèse sur Renewal. Pour exprimer au mieux ces idées noires, Kreator a choisi de s'aventurer dans des contrées particulièrement séantes à cet état d'esprit, en intégrant plusieurs aspects inhérents au metal indus' : bruits de machines, multiples effets sur la voix, brouhaha ambiant en fond sonore… Pas besoin de chercher plus loin les raisons du tollé général à la sortie de l'album. A lui seul, le court interlude "Realitätskontrolle" (1 minute 20 purement indus') aura cristallisé toute la rancœur des fans de la première heure, qui attendaient une nouvelle pépite thrash et qui rejetteront massivement cet essai.
Il faut dire aussi que Kreator n'y a pas été de main morte pour déstabiliser son public habituel. D'entrée, "Winter Martyrium" se révèle plutôt difficile à cerner : si la partition de Ventor est typiquement thrash, le morceau brille par son absence de riff et le chant très étrange de Petrozza, qui beugle ses paroles de façon hachée sur un ton extrêmement monotone. Voilà qui a de quoi dérouter l'auditeur, d'autant plus que déboule immédiatement après "Renewal". Or, bien que ce titre soit devenu un classique au fil du temps, ce mélange heavy old school et refrain plus atmosphérique se situe à des années-lumière de torpilles « in your face » comme "Betrayer". On est encore loin des morceaux les plus aventureux de l'album. D'un côté, il y a "Reflection", dont l'entremêlement de sonorités nouvelles, de tempi changeants et d'effets vocaux bien sentis sur le refrain en font l'un des titres les plus aboutis de l'album. De l'autre, "Karmic Wheel" et son long break atmosphérique si doux, si paisible que ce morceau aurait mérité de finir là-dessus. Enfin, "Depression Unrest" semble indiquer la future direction prise sur Outcast, qui aurait dû être le véritable prolongement de cet album si Kreator n'avait pas fait un pas en arrière sur Cause For Conflict.
Et pourtant, contrairement à ce qu'il fera plus tard sur des albums comme Outcast ou Endorama, Kreator n'a pas encore totalement tourné le dos au thrash. On retrouve ainsi le style de prédilection des Allemands sur des brûlots comme l'excellent "Brainseed" ou sur "Europe After The Rain". Il se dégage d'ailleurs de ce dernier un feeling très hardcore, porté par un chant rageur et très primaire de Petrozza et seulement entrecoupé par un break plus calme sur fond de narration. Cela fera même regretter à certains (toutefois loin d'être majoritaires) que le groupe ne soit pas allé au bout de sa démarche. Reste que pour quelqu'un qui n'aurait pas découvert cet album peu après sa sortie, difficile de comprendre le massacre en règle qu'il aura subi. Même s'il n'est pas exempt de tout reproche, comme un "Zero To None" un peu faiblard, Renewal s'avère assez plaisant à l'écoute à condition de bien en apprivoiser l'ambiance terne et déshumanisée et ne pas s'attendre à un album de thrash classique. Kreator poussera plus tard le bouchon un peu plus loin sans déchaîner autant les passions. L'effet de (mauvaise) surprise était passé, sans doute, et les puristes avaient déjà quitté le navire.
Renewal est le fruit d'une prise de risques considérable pour Kreator. Alors que le groupe était au faîte de son succès, Petrozza n'a pas hésité à tout remettre en jeu dans une quête toute personnelle d'accomplissement artistique. Un pari audacieux autant qu'un lourd tribut sur le plan commercial, puisque Kreator aura laissé sur le bord du chemin une bonne partie de ses légions, qui n'étaient pas prêtes à le suivre dans cette direction. Mais avec le recul, une fois replacé dans un contexte moins passionné, voilà une vraie curiosité doublée d'un album qui vaut tout de même le détour.