CHRONIQUE PAR ...
[MäelströM]
Cette chronique a été importée depuis metal-immortel
Sa note :
17.5/20
LINE UP
-A. Mazurel
(chant)
-A. Irissou
(piano+claviers+melodica)
-H. Mazurel
(guitares+mandoline)
-D. Martin
(guitares+claviers)
-T. Mazurel
(basse+contrebasse)
-A. Rodrigue
(violon+violoncelle)
-A. Kebnekaïze
(trompette+buggle)
-F. Denaux
(batterie)
TRACKLIST
1)From My Veins to the Sea
2)I Used to Be a Charming Prince
3)Goin' Down
4)White Men In Black
5)I Was Born a Cancer
6)Old Stars
7)Vargtimmen
8)The Apemen, the Bride and the Butterfly
9)Aleister
10)1Hungerstrike In the Supermarket
11)Words
12)Hush
DISCOGRAPHIE
Plus de dix ans d'existence et un troisième album comme un point final. Peut-être même le point final du genre tout entier, car ce disque porte en lui tant de créatif et de stigmates qu'on pourrait croire l'aventure avortée. Difficile à saisir car à moitié dans le groupe, à moitié dans le songwriting solitaire, The Ripper n'a de cesse de métisser les influences et d'ouvrir son cabaret (à la Nick Cave dernière période) vers un toujours plus large univers où s'entremêlent le walkin-jazz, le folk contemplatif et le mope dément (sans compter les influences country, klezmer, russes, allemandes…) dans un recueil de chansons tristes et cruelles d'où sait perler une beauté indescriptible.
Commençant le disque de la plus belle manière, l'entrée "From My Veins To The Sea" déroule la plus belle des mélodies guitare/piano, ouvrant la matière comme "La Femelle Du Requin" le faisait sur le précédent. Rejetant les conventions à son intérêt, l'empreinte du jazz s'imprègne des structures pour ôter tout refrain baveux aux chansons. Seules deux pistes possèdent un chorus, hérésie pour de la musique populaire ! Et pourtant… Agençant leurs chansons en crescendo lyrique, en doux decrescendo, voire en langueur cyclique, chaque résultat ressemble à un climax sorti d'improbables sessions alcooliques du "No More Shall We Part" des Bad Seeds, un album où aucun morceau ne fait tache, où chaque épisode se savoure comme s'il s'agissait du point d'orgue du disque. Pari risqué ! Et pourtant…
L'influence cabaret s'étiole légèrement avec chaque album, ainsi seuls deux morceaux peuvent se réclamer du genre. Qu'il fleure bon le kaffee allemand d'avant-guerre sur la superbe "The Apemen, the Bride & the Butterfly" et sa rencontre troublante avec des violons yiddish ; ou le pub irlandais enfumé d'"I Was Born A Cancer" le temps de glorifier la déesse cigarette en trois minutes. Pas politiquement correct. Et pourtant… Certaines pistes s'approchent encore de la chanson ; tel la douce-amer histoire d'"I Used to Be A Charming Prince" ou la ballade enjouée et pourtant vomitive "Hungerstrike At The Supermarket". Peu à peu l'image du cabaret se meut en une machine plus construite, la chanson devient morceau. Une poussée en avant qui aurait pu faire croire que Jack vendait son âme au diable. Et pourtant…
Si la formation ne se limitait pas au guitare/basse/batterie, les invités deviennent ici réguliers, un violoniste et d'un trompettiste sont des cadeaux qu'on a du mal à s'imaginer enlevé un jour, comme la production sans faute de Stephan Kraemer. Extr-arrangeant leurs morceaux d’entremêlas dans un collage pollockien, d'aucuns diront que la simplicité laisse place à une surenchère. Et pourtant… Imaginer ces morceaux sans toutes ces facultés protéiformes et ces indispensables futilités, ce serait perdre le charme de ce chaos que constituent les douze morceaux de Ladies First. Nul doute que les amateurs de chansons furent frappés en entendant "Old Stars" et "Vargtimmen", guidées par tant de beauté dans leurs progressions alambiquées jusqu'à des bouquets finaux sans comparaisons…
Jamais à court d'idées, comme sur les envolées lyriques de "White Men In Black" : renforçant les cuivres par du latino avant un decrescendo sous forme de récital mystique ; ou sur la fermeture pornographique "Hush" et son histoire sale à la "Melody Nelson" qui ramène les paradis artificiels à de la joyeuse expérience d'adolescent ; ou sur l'"Aleister" planante survolant des villes cendreuses poignantes de mélancolie. Sans s'attarder sur toutes ces sublimes harmonies aux mélodies empreintes d'orientalisme, si magnifiquement belles que le mot en devient faible. Bien sur, tant de créatif met du temps à s’apprécier, et certaines chansons se «perdent» un peu entre d’autres plus accrocheuses. Et pourtant… Cette verve foisonnante ne saurait être réduite à de la grandiloquence.
Preuve incontestable : les textes sont toujours aussi travaillés. Surréalisme en splendeur, tendresse ou violence, l'émotion passe sans à-coup. "Goin' Down" qui concourre au titre du meilleur morceau dévoile un chanteur possédé et souffreteux, dégoulinant de bile sur un piano-jazz jusqu'à la folie furieuse du break central, la tête dans la lave, tremblant sous la main-mise de la basse et les hurlements de la trompette. Un monument qui serait à sa place sur le Bone Machine de Tom Waits. Un monument tout court quand on pense qu'aucun titre de cet album n'est réellement mauvais. Car si on ne sait pas ce que Jack the Ripper voulait faire passer, nul doute que leur inspiration (suivi par leurs compositions et leurs ambiances) a enfanté une nouvelle imagerie de la beauté pure. Une certaine idée de la beauté objective.