CHRONIQUE PAR ...
[MäelströM]
Cette chronique a été importée depuis metal-immortel
Sa note :
16/20
LINE UP
-A. Mazurel
(chant)
-A. Irissou
(piano+claviers+melodica)
-H. Mazurel
(guitares+mandoline)
-D. Martin
(guitares+claviers)
-T. Mazurel
(basse+contrebasse)
-A. Rodrigue
(violon+violoncelle)
-A. Kebnekaïze
(trompette+buggle)
-F. Denaux
(batterie)
TRACKLIST
1)La femelle du requin
2)Escape
3)The astronaut of her majesty
4)A portraits'gallery
5)Martha
6)Feral buddleia
7)Hamlet song
8)Her ghost
9)Waltz, for my girlfriend joe
10)Bad lover
11)Party in downtown
12)So
DISCOGRAPHIE
Une demi-douzaine d’années d’existence, pourtant. Un seul album avant cela. A entendre, on a du mal à croire qu’un groupe comme Jack the Ripper n’est pas l’œuvre d’un seul illuminé. Et en voyant le chemin parcouru depuis The Book of Lies, on a du mal à croire qu’il n’ait pas non plus 80 ans et autant de scène… Et pourtant, ce groupe sorti de nulle part qui distille du cabaret aux lourds accents de jazz et d’orient est français, impétueux, et pas vieux. Y’a plus de jeunesse !
Première écoute, première larme. Comment ne pas rester con devant une ouverture telle que La Femelle du Requin. Démarche indescriptible toute de sonorités délétères enveloppées, manteau de mélancolie abusive pour alcooliques nostalgiques d’un passé qu’ils n’ont pas connus. Mais c’est aussi ça, Jack the Ripper. Un tableau de Juarez Machado d’une exquise pudeur pour un titre d’une délicieuse candeur pornographique. Comme un bain de lune, la musique navigue doucement sans choquer, entre la floraison de La Belle et la Bête (en Cocteau dans le texte) d’A Portrait’s Gallery ; à l’extrospection d’Hamlet Song, on déambule dans une extrapolation musicale de Beckett, dans une variation sonique sur Ionesco. Même quand Jack (le groupe) perd le feeling musical, il se rattrape sur des textes et une ambiance chaude et intime qu’il est seul à savoir décanter. Une douceur un peu apprêtée qui déçoit parfois, tant Waltz For My Girlfriend Joe ou Bad Lover auraient pu être tout aussi grandes.
Pour nous prouver ce dont on était déjà convaincu, le groupe s’entoure tour à tour de marron pour Escape puis de vert pour Feral Buddleia. Le conte décrit dans le premier n’a d’égal que l’agencement de ses périodes excellemment pensé, du couplet noiraud au break cuivré possédé jusqu’à la clôture démente qui boucle la personnalité échaudée de sa marche destructrice ; alors que le second, tout comme l’ouverture, force à se désencrasser l’oreille et subjugue par une précision harmonique telle qu’on se demande comment personne n’avait encore penser à écrire ça. Pourquoi fallait-il qu’un groupe français qui ne ressemble à rien à part eux ait été désigné pour incarner un ensemble aussi disparate que cette forme hybride de chanson et de musique – ce qui, rappelons le, ne va pas ensemble hormis chez quelques Tom Waits, Nick Cave, Neil Young… bref, chez des gens qui travaillent en groupe et pourtant seuls.
Mais comme l’eau (élément fondamental chez le groupe) ne tarit pas d’éloges, la traversée passera sans vraiment bloquer, juste en marquant profondément les errances solitudinaires d’un verre de whisky sur un bar aérien. Mots inutiles pour décrire, encore, un Her Ghost déprimant dénudé de toute grandiloquence, une Martha de songwriter à la crasse si populaire qu’elle pue le vécu, et pourquoi pas même un Party In Downtown qui achève l’oreille par un Fast & Furious de rock qui suinte l’envolée terminale, l’ouverture uchronique sur la clôture sanglante d’O’Malley’s Bar – Jack the Ripper n’est alors plus un nom usurpé, au vu de son interprétation live si brûlante, aussi terrifiante que fascinante… Tant et si bien que la venue inopportune de So glisse dans un sommeil profond la jeune femme allongée qui gratifie la pochette – pour les quelques secondes qu’il lui reste à vivre. Après toutes ces émotions, ce sexe, cet alcool et ce sang, seul le sommeil est une réponse valable.
Le son et la patte Jack the Ripper ne ressemblent à rien d’autre, l’ambiance est unique, l’association des genres est une gageure maîtrisée avec insolence… Si Nick Cave est le nom revenant le plus souvent, c’est un simple manque de qualificatif qui rend obligatoire cette attache car le groupe a su avec ce nouvel album s’en détacher totalement et approfondir ce qui le rend si caractéristique. Le groupe est devenu trop jazzy, a intégré trop d’influences klezmero-tzigane pour ressembler encore au croque-mort. Car dès I’m Coming, on n’entend plus l’australien et Jack frappe désormais en solitaire, dans un monde que nul autre ne saurait tisser sans paraître ridicule. Sans mésestimer le moins du monde cet opus – qui a ses avantages, dont la spontanéité – on sent que la porte vers le chef d’œuvre abyssal qu’est Ladies First peut s’ouvrir. Non fiston, ce n’est pas «du rock». Pas du tout, même. C’est bien plus que ça…