03 novembre 2013
-
Paris - Le Divan Du Monde
« Je comprends la lassitude de certains quant aux concerts, surtout due au temps passé à attendre dans les transports, puis devant la salle, puis pendant le changement de matos et parfois même quand il s'agit subir une ou plusieurs première(s) partie(s) pourrie(s). Et puis, ça demande un sacré budget. Ca me le fait de plus en plus pour les concerts à Paris et du coup il faut vraiment que ce soit un groupe/artiste que j'aime beaucoup pour que je me déplace. » (Metalyogi, 07/07/2013)
Ce discours est en effet souvent repris, au point que de plus en plus de metalheads préfèrent épargner des sous pour les festoches, où une fois rendu sur place, plus de transports, pas de temps mort entre les groupes et la possibilité de retourner au bout de 5 minutes sous la tonnelle si c'est pas bien. Sauf que parfois, comme ce fut le cas ce soir au Divan du Monde, on réalise qu'il n'y a rien de mieux qu'un bon vieux concert pour prendre une grosse baffe dans la tronche. Déjà parce que sur le papier, ça vend du très lourd de trouver côte à côte les Norvégiens déjantés de Shining, les talentueux frenchies d'Hacride et l'un des groupes actuels les plus intéressants de la scène post-metal, je parle bien sûr de The Ocean.
Mais avant tout, place aux Polonais de Tides From Nebula qui offrent une entrée en matière plutôt calme pour cette soirée. A la fois en plein dans l'esprit de The Ocean, avec une musique naviguant entre rock et metal mais résolument "post" de par ses développements atmosphériques lancinants, mais toutefois sans jamais exploser. Un peu le cul entre de chaise finalement, une sorte de Cult Of Luna bridé ou de Sigur Ros extrême. Cela n'enlève en rien la très bonne performance des polaks, qui parviennent à convaincre votre serviteur même si visiblement toute la salle n'aura pas été très emballé. Il faut dire qu'au bout de 30 minutes, il faut libérer la scène et le groupe n'aura pu jouer qu'une poignée de morceaux : la dure règle des premières parties.
On enchaîne alors avec Shining plutôt attendu car l'audience se réveille massivement. En même temps, on reste difficilement insensible au groove énorme de cet OVNI musical, quelque part entre un metal indus à Devin Townsend tout aussi hystérique mais qui serait parti dans un délire funky/jumpy et un "black/jazz" tels qu'ils l'ont eux même définis à savoir de l'improvisation libre sous couvert de blast-beats, le tout avec un son saturé à tous les niveaux (guitare, basse, claviers et chant). Voilà pour la partie description stylistique peu évidente. Ah oui, j'oubliais le plus important : le saxophone ! Marque de fabrique du groupe, l'utilisation atypique de cet instrument ajoute un brin supplémentaire de folie au rendu scénique déjà peu conventionnel du groupe.
Imaginez la virtuosité d'un jazz band qui aurait viré à l'hystérie en découvrant tout ce que peut produire l'utilisation de sons électroniques. Dans la démarche avant-gardiste, tout ceci rappelle un acteur majeur de la scène progressive, le grand King Crimson, dont Shining rend traditionnellement hommage avec sa reprise finale de "21
st Schizoid Man", version extrême de l'originale. Version moderne et glaciale, tous les relents hippies sont gommés pour ne garder que la folie originelle agrémentée de violence métallique et l'épilepsie électronique. Un vrai tour de force, à l'image des classiques du groupe comme "Fisheye" et son riff immédiatement mémorisable et son refrain à base de "1 3 7 5" scandé de manière hitlérienne, ou encore l'opener "I Won't Forget" issu du dernier album
One One One.
Changement de style avec Hacride, qui bénéficie de leur passage dans la capitale pour passer au dessus de leurs confrères Norvégiens sur l'affiche. A l'image de la prestation du Motocultor, les morceaux issus du dernier album
Back To Where You've Never Been ouvrent le set et sont joués isolément du reste et dans l'ordre de "Introversion" à "Overcome". Et à chaque fois, voir le groupe en live a permis à votre serviteur de réévaluer à la hausse son jugement sur ce nouvel album qui passe décidément à la perfection l'exercice de la scène ! On headbangue avec joie et le nouveau chanteur quoique toujours un peu hésitant était bien plus charismatique ce soir en salle qu'en festival. On enchaîne alors avec "Perturbed", véritable boucherie qu'il me tardait de voir en live un jour : cette intro ! Ce final ! Les Poitevins achèvent l'audience avec "My Enemy", définitivement le meilleur titre du groupe. Au final, peu de surprise car la baffe attendue a bien eu lieu et c'est fort bien comme ça.
Le temps d'aller prendre une bière pour se désaltérer après ce coup de chaud et retour devant la scène pour voir l'Océan. A son habitude, le groupe gratifiera l'audience de projections sur un grand écran pendant le concert, détail fort appréciable dans le cas d'une musique aussi visuelle et conceptuelle. D'autant plus que sur cette tournée le groupe a décidé de prendre un gros risque : jouer le dernier album
Pelagial en entier (l'album étant présenté comme une unique chanson-titre découpée en plusieurs plages et formant plusieurs actes). Le concept des différentes zones de profondeur de l'océan prend donc tout son sens avec une lente noyade dans les abysses sur une heure de show. Musicalement, il n'y a rien à redire puisque le boulot est toujours fait avec le même sérieux à l'image du batteur Luc Hess au jeu vraiment époustouflant.
Scéniquement, on frôle la perfection, tous les zicos sont à fond dans leur musique et bougent beaucoup, en particulier l'imprévisible chanteur Loïc Rossetti. S'adaptant au rythme des morceaux et à la montée en puissance de
Pelagial, il attendra la fin du set pour se lâcher vis-à-vis du pit et enchaîner pas moins de six stage-diving. Le plus impressionnant étant sur "Demersal", où après avoir invité le chanteur d'Hacride à growler avec lui, le génial timbré ira se percher sur le balcon su Divan du Monde (évalué d'après votre serviteur à 4-5 mètres de hauteur) et après avoir galéré pour rattraper d'en haut son micro (que des gens en bas s'efforçaient de lui lancer - scène fort comique) et pris une grande inspiration, il fera le grand plongeon. Scène surréaliste et saisissante puisque tout le monde tremblait visiblement pour lui. Réception nickelle du public parisien qui aura montré sa robustesse.
Alors que "Benthic" sonne le glas avec sa rythmique pachydermique sur fond de spots rouges anxiogènes, Pelagial s'achève. Bientôt l'heure du couvre-feu mais l'Océan n'en a que faire et livrera des rappels mémorables, tout d'abord "Firmament" qui remuera bien le public puis "Roots & Locusts", chef d'ouvre d'Anthropocentric pour finir sur le vieux classique "For The Great Blue Cold Now Reigns". Un enchaînement divin pour un concert d'anthologie, tout le gratin de la scène post-metal sous tous ces angles était réuni ce soir. Une date que le public parisien ne sera pas prêt d'oublier et qui remotivera tous les blasés de concerts !