« Oh je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions une vingtaine dans ce hangar et il y avait ce gros aigle argenté peint sur le mur, oui… oui… Et l’inscription là, Oranssi Pazuzu, oui… Ils avaient mis de la musique, je me rappelle encore le titre de la chanson : "Uraanisula", uranium fondu, c’est drôle non ? Oui... On ondulait au son de la musique, on avait tous pris de la drogue, oui… Beaucoup… Et puis ils sont arrivés, et au même moment la musique est devenue… je sais pas… oui… en tout cas, ça a été le carnage… Les gens se précipitaient les uns sur les autres, ils étaient comme fous. Un type s’est jeté sur moi et a voulu me bouffer la main et ensuite le visage… Mon Dieu… je ne sais pas encore comment j’en ai réchappé… »
Chanson : "Uraanisula" – 7min 35s. C’est le moment où tout le travail d’hypnotisation antérieur paie. C’est le moment où les Finlandais laissent momentanément leurs flûtes métalliques de charmeurs de serpents et sortent les haches. "Vino Verso" est une entrée en manière impeccable : riffs indus répétitifs, claviers électro-dark un peu inattendus pour les personnes ayant écouté le fantastique Kosmonument, on commence à secouer la tête en mode automatique. "Tyhjä Temppeli" prend parfaitement le relais avec des mélodies black jouées façon indus, et puis on entre dans le vif du sujet. "Uraanisula" ou la menace devenue réalité. Déjà, l’entrée en matière ne présage rien de bon : la guitare acoustique, certes classique mais plus froide que les -273 degrés Celsius censés représenter le « zéro thermique absolu », nous susurre des vilains mots à l’oreille. Elle nous dit que le Pazuzu Orange n’est pas de ce monde et qu’il est méchant. Les guitares grondent un peu, mais le coup de grâce n’est pas asséné. Les extra-terrestres ont le temps, ils possèdent la maîtrise des émotions terriennes : l’heure n’est pas encore venue, il faut continuer à hypnotiser le terrien, à coup de rythmes Godfleshiens, de grincements et de lamentations des guitares. Le regard de l’auditeur est hagard ? Il halète ? Oui. C’est le moment, la machine paraît se bloquer et c’est parti : une déferlante à faire pâlir Neurosis de jalousie s’abat sur les fibres animiques du terrien qui se met à tourner des yeux, à aboyer aussi fort que Jun-His, dont le timbre typiquement black monte encore en intensité, et à détruire systématiquement tout ce qui se trouve aux alentours.
Il paraît que la tempête ne dure que deux minutes, mais le référentiel spatio-temporel terrestre, c’est de la merde. Une fois le climax passé, Oranssi Pazuzu baisse-t-il la garde ? Non, bien sûr que non. La fin de "Uraanisula" et "Relkä Maisemassa" ne forment qu’un petit intermède psycho-OVNI-indus aux forts relents de Neptune Dream (ou Tangerine Towers), et on repart. D’abord avec "Olen Avannut…", où le groupe clame sa passion pour le black metal d’une manière un peu plus conventionnelle, ensuite avec l’autre sommet de l’album, "Ympyrä On Viiva Tomussa". "Le cercle est une ligne dans la poussière", encore plus long que "Uraanisula". L’approche y est un peu différente : le climax est moins fort, mais ô surprise il est double. On se doute bien que l’introduction, sorte de "Set Controls for the Heart of the Sun" instrumental et sombre va laisser place à une volée de bois vert, et on n’a pas tort : elle arrive, la volée. Classique, propre et nette, elle vaut son pesant de grattons (les Lyonnais comprendront la formule), puisqu’en comparaison Through Silver In Blood semble avoir été interprété par Jacques Lantier. Éprouvé, on pense que les mélodies légèrement orientalisantes qui suivent vont gentiment clore l’album et on se demande d’ailleurs pourquoi elles mettent tant de temps à s’estomper et mourir. La claque postérieure est inversement proportionnelle au degré de vaillance de l’auditeur. Le nouvel assaut, à grands renforts de claviers limites prog cette fois-ci, écrase tout sur son passage. Tout finit en chanson ? Pfff, tout finit par un vide cosmique monumental. L’aigle argenté nous a kidnappé et nous emmène au fin fond de l’univers, qui est peut-être un multivers, d’ailleurs.
Kosmonument était grand. Valonielu est cosmique. Froid, implacable, méchant aussi. La vie non humaine existe, et elle a pour mission notre destruction. Objectif : annihilation de la volonté propre du terrien metalleux. Equipe : Jun-His, Moit, EviL, Ontto, Korjak. Nom de code phase 1 : Muukalainen Puhuu. Nom de code phase 2 : Kosmonument. Nom de code phase 3 : Valonielu. Jusqu’ici l’opération est un succès. J’ai mangé le foie du voisin.