Les albums conceptuels c'est chouette. Sauf que voilà, le concept est parfois un peu dur à saisir. A l'instar de la physique quantique : on sait que c'est là, on sait que c'est important mais on reste un peu perplexe sur l'utilité du bazar. Eh bien l'oeuvre de Coheed and Cambria est un peu comme ça elle aussi. Si chaque album s'inscrit dans un concept, The Armory Wars, la logique du truc n'est pas évidente. YoTBR a beau être le cinquième album du groupe, il est pourtant le premier volet de l'histoire née de l'infatigable Claudio Sanchez. Et comme l'histoire en question n'est pas aisée à saisir, nous allons nous en tenir à ce qui est accessible aux cerveaux les plus basiques : la musique.
La première information sur ce disque est para-musicale et concerne un point qui fâche : la production. A priori, tout est clair, les mélodies complexes se superposent entres elles proprement et les lignes vocales non moins tordues de Sanchez parachèvent le tout en s'intégrant agréablement au mélange. Pas mal. Le résultat aurait donc du être bon; c'était sans compter sur la loudness war. Car à être tout compressé de partout, tout rabougri sur lui-même, Year of the Black Rainbow est un album qui fait mal à la tête. Et c'est bien dommage car le disque est suffisamment riche sur le fond pour, en plus, se permettre d'être drôlement copieux sur la forme. Sans être du niveau de Death Magnetic (le chef de file des albums qui résonnent dans la boite crânienne jusqu'à ce que mort s'en suive), YotBR réalise ici une bien piètre performance. Bref, on vire le mec responsable du mix (n'est-ce-pas Atticus Ross, le compère de Reznor ?!) et on plonge enfin dans le vif du sujet en tâchant de faire abstraction du pavé de mille tonnes qui débarque directement dans le centre auditif. Alors, Coheed and Cambria, c'est quoi ? Eh bien fondamentalement, c'est du rock. Du rock qui se joue avec guitares, basse, batterie. Basique... pas tant que ça.
En creusant un peu, on lui accole vite les étiquettes "progressif" (ce qui ne veut pas dire grand-chose) et "mélodique". La musique du combo se veut effectivement plus complexe que la moyenne - la faute aux guitares qui virevoltent sans cesse et dessinent des mélodies ingénieuses pourtant loin d'être évidentes ("This Shattered Symphony"...) - tout en restant étonnamment catchy. Progressif et mélodique donc, c'est pour la partie qui fait plaisir. En général,les sourcils froncent quand déboule l'étiquette qui dérange: "émo". Rassurons-nous, l'aspect "emo" du groupe tient en réalité dans un unique élément: le chant. Ah ! ce chant si caractéristique, qui irrite autant qu'il passionne. Claudio Sanchez, c'est certain, n'hésite jamais à surjouer son rôle. Et vas-y que je pars dans les aigus, et vas-y que je ponds des lignes de chant étranges, et vas-y que je m'excite, que je chouine (avec une certaine réussite sur les deux très bonnes ballades de l'album: "Far" et "Pearl of the Stars"), que je... bref. Indescriptible et unique, le timbre enjoué et naïf du chanteur, très souvent doublé de choeurs, sera assurément l'une des raisons de souscrire au propos de l'album, exception faite de certains passages un peu prise de tête à l'image d'un "Made Out of Nothing (All That I Am)", décidément poussif ou d'un triplet final trop peu marquant.
Pour mieux cerner un Coheed and Cambria en bonne forme sur cet opus, on pourrait encore citer les deux noms de Muse et Dream Theater. Muse amène le coté catchy et épique des compositions par ailleurs nappées de sonorités électroniques ("Here We Are Juggernaut", "Guns of Summer") et Dream Theater pour l'aspect "zouplajetournicote". Car le groupe, tout en présentant des structures parfois étonnantes, à tiroirs et tiroirs dans le tiroirs, parvient à pondre un refrain efficace par morceau. Et voilà clairement l'un des points fort du groupe: une science de la composition absolument maîtrisée. L'album est donc a priori très vite assimilé mais en creusant un peu, on observe que C&C ne verse jamais dans la facilité: le groupe cherche l'accroche, il serpente, il tourne, retourne le problème en passant par autant de chemins que de tentatives. En résulte finalement un disque pas prise de tête (sauf pour ce qui est de cette prod' vomitive), ultra-accrocheur, émotionnellement chargé (mention spéciales pour les ballades) et pourtant pas si évident que ça.
Coheed fait du Cambria et vice-versa. Conséquence: Year of the Black Rainbow n'a pas grand chose de plus à vendre qu'un -par exemple- Apollo IV. Au contraire, il aurait même un peu moins à offrir que son grand frère et pourtant, retrouver le groupe, pétri d'autant de talent que de caractère, reste un plaisir. Si rien ne déborde jamais ni vers l'excellent ni vers le mauvais, cet album reste une pièce des plus agréables, au moins du fait de la kilotonne d'accroches qu'il contient. En tous les cas, des "comme-ça" ne se trouvent pas à la pelle, c'est certain.