Coheed And Cambria -
Good Apollo, I'm Burning Star IV - Volume One: From Fear Through The Eyes Of Madness
La voilà, cette perle rare, l'œuvre, à mon avis, la plus inattendue de l'année qui vient de s'écouler: elle a un nom à coucher dehors, elle est écrite par un groupe complètement à l'ouest, aussi bien dans ses propos que dans son attitude. Veuillez faire un petit plaisir à vos cages à miel, faites-leur découvrir la plus underground des oeuvres mainstream: le nouvel album de Coheed And Cambria, fidèle troupe menée par son chanteur/guitariste et accessoirement maître à penser de cette formation complètement dans la lune: Claudio Sanchez.
En effet, on peut même dire que ça bouillonne un peu trop, à l'intérieur de son crâne plus ornementé que celui de Chewbacca: sur le papier, c'est du caviar. Imaginez-vous, pour cela, un concept-album, qui fait partie d'une grande saga science-fictionnesque à légère tendance psychanalytique, dont il est le quatrième volet (même si ce n'est que le troisième album du groupe). Musicalement, ça se trouve entre le rock épique, le progressif dont on aurait tiré l'essentiel nectar (les rythmiques à la Rush), le metal pour certains moments de bravoure guitaristique, le tout mené poils en avant par une voix nasillarde, parfois héliumisée; comme, de plus, sont mentionnés les noms de David Bottrill (Tool, excusez du peu) et d'Andy Wallace au mixage et que les quatre derniers morceaux ne font en réalité qu'un long morceau de trente minutes, propice aux expérimentations les plus folles, l'amateur de trucs progressifs est déjà en train de courir comme un déglingué chez son disquaire avant la fin de cette phrase.
Dans la pratique, ça se complique sérieusement. Partagé entre le dégoût basique et la nonchalance neutre (« bôf, c'est pas du RIO, ton truc »), l'amateur de trucs progressifs va néanmoins s'interroger un peu: une mise en bouche dans un délicat panaché de cordes ("Keeping The Blade"), menée ensuite par une berceuse à la guitare acoustique ("Always & Never") et le disque embraye dès la troisième piste sur un metal à tiroirs, féroce et symphonique ("Welcome Home"): ça a tout de même de quoi laisser perplexe. Trop simple pour l'amateur de trucs progressifs. Mais une fois dedans, c'est fini: il est déjà cuit. Les refrains s'enchaînent (parfois jusqu'à trois ou quatre différents par morceau, comme sur "Fuel For The Feeding End"!), s'immiscent petit à petit dans sa tête et tiens donc, la fin du disque est déjà là. A l'écoute suivante, il aura l'impression d'écouter un disque différent. Quel dilemme.
C'est le surprenant Effet Sanchez: des morceaux a priori très faciles d'accès, qui s'écoutent sans peine (ces refrains popisants, quelle réussite!), mais qui cachent en réalité un sens de la composition véritablement unique en son genre (de la rythmique de fou, encore de la rythmique de fou, au service d'une complexité sans faille). Le morceau final ("The Willing Well") est à ce titre anthologique, mais il ne s'agit nullement de déflorer l'univers très typique de cet album, alors je vous dirais juste que c'est un des meilleurs morceaux de rock progressif que j'ai entendu depuis longtemps, épique et très soigné. Point barre.
Bien sûr, les déchets sont présents ("Once Upon Your Dead Body" et "Wake Up", il faut avouer qu'ils sont un peu à se pisser dessus de rire), mais l'ensemble est tellement cohérent et si bien interprété que ça dépasse vite le cadre du disque « sympa, mais sans plus ». De même, cet album ne vire jamais à la diarrhée démonstrative et à l'expérimentation stérile, ce qui est une autre qualité très appréciable par les temps qui courent. La voix de Claudio Sanchez, tellement incongrue (entre le gallinacé castré et le suppositoire trop vite rentré), devient même familière au fur et à mesure des écoutes. C'est ça, le truc: on se prend littéralement d'affection pour ce disque. Ma chronique reste en ce sens très évasive, puisque je vous invite à le découvrir par vous-même: à chacun de se faire une idée.
Le problème est donc très facile: soit on comprend qu'il n'y a finalement rien à comprendre et on se laisse porter, tout simplement; soit on fait du disque un frisbee pour son chien et on vient gueuler sur Beren parce qu'il aura encore foutu une bonne note pour pas grand chose. Mais ce n'est pas ma faute, hein: allez plutôt gueuler sur Claudio Sanchez, c'est lui le responsable.