C'est plutôt difficile à avaler mais le heavy, le maître-genre de notre musique, n’intéresse plus grand monde. Il n'a plus d'ambition et un simple coup d'oeil aux derniers albums des "nouveaux" meneurs de jeu (Hammerfall, Firewind, ...) suffit à faire ce triste constat: le heavy metal tourne en rond. Voilà pour la version du pessimiste car en cherchant bien, on finit tout de même par trouver quelques perles. Certains continuent de perpétuer les valeurs du genre avec une efficacité digne des Grands Anciens (Battle Beast), d'autres repoussent légèrement les limites et, de ce simple fait, insufflent un vent d'air frais dans cet univers à bout de souffle. Voyager est de ces groupes qui, en apportant quelque chose de nouveau, une touche personnelle, redonne la foi en ce genre indépassable.
Sur le papier pourtant, Voyager n'a pas grand chose de plus à vendre que tous ses camarades de jeu. La formation est classique, mettant en avant la voix et les guitares. La voix et les guitares, voilà justement ce qui, pourtant, permet à Voyager de mettre sa pâtée aux autres groupes de la sphère heavy. Si une chose frappe sur ce Meaning of I, c'est tout d'abord cette voix grave et enjouée qui ne ferait pas tâche dans un groupe de new wave à la Depeche Mode. Pas de cris haut-perchés, pas non plus d'excès de virilité. Daniel Estrin possède un timbre tout à fait particulier finalement assez peu connoté "metal" avec lequel il réalise des merveilles tout au long de l'album, qu'il agrémente de lignes de chants tout sauf plates et linéaires. Ajoutez à cela une science du refrain imparable ("Stare Into The Night", "Seize The Day", Broken", "The Meaning of I", etc.), des paroles de grandes qualités et vous obtenez l'un des vocalistes les plus originaux et intéressants du milieu. Les quelques invités venant partager le chant (Daniel Tompkins de Tesseract et DC Cooper de Royal Hunt) ne pourront rien face au magnétisme de l'Australien. D'autant que ce dernier est bien entouré. Les guitares oscillent entre plans heavy, prog' et, plus surprenant, "quasi-djent" (notez tout de même les guillemets). Les rythmes varient, passant d'une célérité certaine ("Fire of the Times"...) à une lourdeur bienvenue ("The Pensive Disarray"). Le temps de deux ballades ("He Will Remain", "It's Time To Know"), elles s'effacent pourtant et laissent de nouveau le chanteur s'exprimer ("He Will Remain", particulièrement touchante). Lui, mais aussi ses autres compagnons.
Car l'une des forces de Voyager, outre cette science de la composition à la fois efficace comme de la pop et intéressante comme du prog' (sans trop verser ni dans l'un ni dans l'autre puisque le propos est avant tout heavy) est sans nul doute de savoir mettre en place une atmosphère unique et personnelle. Voyager, comme son nom l'indique, est un groupe au ton spatial. The Meaning of I, malgré les thèmes très terre-à-terre qu'il aborde, est un album qui plonge l'auditeur dans d'autres sphères. Surement que l'utilisation du clavier y est pour beaucoup. Car le groupe n'a pas peur de mélanger les genres et n'hésite pas à incorporer à son heavy de nombreuses touches électroniques, notamment sur les introductions ("Stare Into The Night", "Broken", "She Takes Me (Into The Morning Light)"), toujours avec une réussite certaine. En bref, malgré un chanteur plus qu'excellent, malgré des riffs inventifs, malgré un clavier utilisé intelligemment, aucun intervenant ne tire à lui toute la couverture. The Meaning of I est une oeuvre de collaboration, l'oeuvre d'un groupe qui, ça s'entend, est soudé et prend un plaisir de gamin à faire ce qu'il fait. Mais The Meaning of I n'est pas encore l'album parfait, la faute à une seconde moitié peut-être un peu en deçà de la première qui, il faut bien le dire, donnerait carrément envie au schtroumpf grognon de pousser la chansonnette. Si on apprécie l'hommage au chanteur de Type O Negative sur "Iron Dream", on regrette un morceau un peu passe partout. Même chose pour le doublet final. A part cela, c'est du tout bon.
Le fainéant qui aura zappé la chronique pour venir lire ce dernier paragraphe peut retenir ceci: il faut écouter The Meaning of I. Entraînant, personnel, varié, voilà un album qui enchaîne les tubes sans pour autant donner dans la simplification facile. En somme, Voyager opère sur cet album une synthèse réussie de ses différentes sources d'inspirations allant du heavy traditionnel à la new wave en passant par le prog' le plus moderne. The Meaning of I ne dépareille donc pas avec l'excellent niveau des oeuvres précédentes du groupe et confirme Voyager dans une place de leader en devenir. En tout cas, ce serait largement mérité. Pour le prochain album, peut-être, puisque celui-ci semble être resté relativement confidentiel...