« Nous marchons comme des ombres sur la terre des morts ». Voilà pour la traduction du titre, ce qui, en plus de satisfaire votre curiosité et de m’épargner l’écriture de finnois imbitable durant cette chronique, donne le ton de ce qui nous attend sur cette petite heure épico-tragique. Quoi que la pochette en dit déjà assez : une plaine asséchée où le sang a plus coulé que la pluie, et au loin, nos cinq bardes qui contemplent un horizon grisâtre et bien chargé. Bref, ça va fleurer bon la nostalgie tempétueuse, l’orage sanglant, et le guerrier qui hurle à la mort parce qu’il a oublié son K-Way à la maison.
Si Moonsorrow est un groupe si apprécié, c’est entre autres parce qu’il a compris que le folk metal, ce n’est pas juste faire jouer sa mélodie de guitare par un biniou. Si les « instruments traditionnels » (ici synthétisés) sont utilisés, ce n’est pas pour dicter leur loi, mais pour peaufiner, accompagner ou apporter des contrepoints à des squelettes qui pourraient, techniquement, se suffire à eux-mêmes. Car ce qui fait le gros du boulot, c’est bien cette alchimie entre les riffs lents, puissants, écrasants, et les nappes de claviers enveloppantes, mélancoliques et pénétrantes. Alors quant à cela vous ajoutez des violons en cascade ou des chœurs de guerriers fantômes, comme sur le thème de "Muinaiset" ou le final terrassant de "Kuolleiden Maa" (on va y revenir), vous obtenez une recette de récit mythologique pour 5 personnes qui, si elle est savamment préparée, peut faire des étincelles. Et comme nos Finlandais ont un sacré tour de main…
…pour la rythmique, c’est tout bénef : Marko Tarvonen, infaillible, aurait été, en son temps, la terreur des galériens. Sa frappe métronomique, assassine et assurée est le soutien rêvé pour mener à bout ces compositions lentes, au rythme inchangé (seul "Tähdetön", en ouverture, propose deux sections bien distinctes). Mais le vrai champion de cette équipée sauvage, c’est Ville Sorvali, le conteur en chef, qui déballe ses tripes avec une rancœur et un esprit revanchard rarement entendus dans le genre. Nous ne sommes pas ici dans le confort de notre petite auberge avec le vieux goguenard de service qui raconte ses histoires barbares pour effrayer les enfants ; nous sommes plongés au cœur du tumulte, vu par les yeux de ce type qui n’a survécu que pour mieux témoigner du massacre des siens, et pour, dans un espoir vain, soulever son peuple, pour reprendre ce qui lui a été pris. Un chemin de croix plus convaincant encore quand Ville délaisse sa voix black pour un chant hurlé sans artifices, souvent utilisé à la fin des titres, pour un effet claque qui ne s’oublie pas.
Et puis, au-delà de cette formule épique et des qualités individuelles de ses membres, il y a la force des compositions de Moonsorrow. Une force à laquelle il faut laisser, malgré tout, le temps de s’installer. Car malgré le savoir-faire, et au vu de l’ambition déployée – concept-album, mais rassurez-vous, chers lecteurs, pas de narrations ou d’instrumentaux débiles à déplorer – il est fort probable que les premières écoutes laisseront une impression de monolithe. Quatre pavés de 12 à 16 minutes aux progressions discrètes, comme autant de variations sur le même thème du « guerrier qui a tout perdu », ça ne s’ingère pas facilement, et si un thème aussi marquant que celui de "Huuto" mettra très peu de temps à marquer vos esprits, ses trois camarades n’auront pas tant de flamboyance de prime abord. Et pour "Muinaiset", le plus ouvertement folk du lot et qui n’a pas la force brute qui habite les autres titres, il se peut que le déclic ne vienne pas. Mais le reste… tout particulièrement "Kuolleiden Maa", le plus agité, tourmenté, tragique des 4 chapitres, procession colérique et désespérée qui se résout dans un final désarmant ; il faut les entendre, ces chœurs déclamer « Kuolleiden Maaaaa… » au bout du voyage, pour se dire que tout le périple en valait bien la peine.
Je parlais de recette, de formule : on pourra tout à fait reprocher à Moonsorrow de s’en tenir à un socle de composition, de ne pas varier ses ambiances d’un titre à l’autre et de proposer un tout compact, massif et quelques fois éprouvant pour le non-habitué. Peut-être, effectivement, que le groupe vit sur des acquis. Mais quand on a les moyens de fignoler des compositions riches à la fois en thèmes accrocheurs et en atmosphères, pourquoi se priver ? Moi, je prends mon aller simple pour la terre des Morts.