A l’approche de la quarantaine, il y a la version bedonnante. Calvitie, embonpoint, renoncement. Il y a aussi la version déni du temps qui passe. Postures presque plus radicales que vingt ans auparavant, qui ne trompent personne. Et puis il y a ceux qui le vivent bien. Bien sûr, leur vie a connu des hauts et des bas, mais globalement ça va. Bien. Très bien même. Deux exemples : Kampfar et Moonsorrow. Les deux groupes en sont à sept albums, avec beaucoup plus de hauts que de bas.
Si Profan maintenait le niveau du groupe norvégien très haut, le petit dernier des Finlandais transmet une sensation similaire. Puissance, équilibre, contrôle, et disons-le, même si ça fait cliché : maturité. Moonsorrow ne se réinvente pas et continue de tracer puissamment sa route. Le disque précédent, Varjoina kuljemme… était moins bon que les autres ? On a tous le droit de commettre quelques petites erreurs, non ? Jumalten aika est là pour remettre les pendules à l’heure grâce à cinq titres maousse costauds, aussi maousse costauds que leur format XXL, format standard adopté par la Tristesse de la Lune depuis Verisäkeet. Le propos des black-folk-metalleux est très clair : taper fort, avec envie, avec doigté et nous entraîner une fois de plus loin dans le passé, à une époque où il n’y avait ni réseaux sociaux, ni voyages low-cost (rendez-vous compte !). Pour cela, ils procèdent en deux temps : castagner trois titres durant, et re-castagner sur les deux derniers titres. Mais il y a castagne et castagne. Les trois premiers brûlots sont absolument directs et crachés à la gueule de l’auditeur qui ouvre la bouche avec plaisir pour accueillir ces jets créatifs. Il s’agit de la version combattante du groupe : mid-tempo solide, guitares d’aciers, mélodies faciles et jouissives, et à l’attaque.
La recette a déjà prouvé par le passé toute son efficacité et elle marche à nouveau. Les deux derniers titres montrent la facette plus « narrative » du groupe : les ambiances, plus élaborées, prennent un peu le dessus sur l’agressivité par le biais de chœurs et de passages acoustiques plus présents et plus mélodiques. Côté brutalité, le mid-tempo du guerrier est remplacé par la cavalcade du chevalier. Ça fonctionne à nouveau parfaitement. L’on sort ainsi comblé par la nouvelle œuvre du très respectable combo finlandais. A-t-on pour autant pu remonter le temps et revenir au niveau stratosphérique des trois premiers albums ? Pas totalement. Einstein l’a dit : on ne peut pas remonter son propre temps. D’une part, la flamme, magnifique de santé et de force, ne peut pas égaler sa force d’antan, quand la source d’inspiration venait d’être découverte et jaillissait avec une énergie incroyable, mais dans le cas de Moonsorrow, la baisse est très peu marquée. D’autre part, les influences de Moonsorrow n’ont jamais été aussi visibles. Les musiciens ne s’en cachent pas, vu qu’ils citent Ulver, Enslaved et Bathory comme inspirations prépondérantes de cet album. Tout en saluant cette sincérité cadrant bien avec la personnalité se dégageant du groupe, on aurait pu également s’attendre à ce qu’ils mentionnent Satyricon et Rotting Christ.
La marque de la bande à Satyr est très palpable sur les deux premiers titres, qui rappellent The Shadowthrone - en plus puissant, modernité oblige - à tel point que le riff initial de "Ruttolehto…" paraît calqué sur celui de "In the Mist by the Hills". Quant à "Mimisbrunn", certains passages évoquent Dark Medieval Times. Les cavalcades de ce même titre font, elles, songer à l’Enslaved épique de Vikingligr Veldi, tandis que "Ihmisen Aika" semble annoncer, par le biais de chœurs et mélodies « typiquement grecs », le cover de Rotting Christ qui suit. Quant à Bathory, tous les chœurs sont imprégnés du souvenir de Quorthon et ses amis. Est-ce un problème ? En aucun cas. Moonsorrow n’a jamais prétendu sortir sa musique d’un chapeau de magicien. De plus, la qualité est au rendez-vous. On pourra simplement dire que les influences sont plus visibles que d’habitude, et que Jumalten aika, plus black que très très folk, porte moins la marque Moonsorrow que ses six frères. Allons-nous pour autant arrêter de secouer la tête sur les riffs en béton de "Jumalten alka", de sentir notre cœur se serrer sous l’effet des chœurs poignants de "Ruttoheto" - chœurs aussi magnifiques que sur "Rauniolla", c’est dire… - ou de s’agiter quand "Mimisbrunn" passe en mode hargneux ? Certainement pas. Jumalten aika paraît simplement être une sorte d’hommage aux Patriarches. Un hommage particulièrement réussi.
Peu de groupes peuvent se targuer d’avoir sorti autant d’albums de qualité que Moonsorrow. Jumalten aika est un album essentiellement black, puissant et racé, faisant mouche du début à la fin. Les mauvaises langues diront qu’il s’agit également de leur album le moins personnel. Ne les écoutez pas ou vous allez finir comme Theoden.