Il y a des albums, comme cela, pour lesquels on ne ressent pas l'envie de chroniquer. Pour lesquels, pour une fois, on se dit qu'on ferait mieux de fermer sa gueule, de ne pas venir trahir la musique et les sensations en tentant de décrire d'une manière forcément infidèle les mouvements qu'elles inspirent. Que le nouvel opus Écailles de Lune composé par Neige soit de cette veine ne surprendra pas les amateurs déjà connaisseurs du projet solo qu'est Alcest. Nouveau voyage dans la sphère imaginaire du musicien, Ecailles de Lune se fait toujours plus rêveur et mélancolique.
Alcest joue à la frontière entre un post-rock lunaire aux instrumentaux aériens et un produit éclairci de black métal atmosphérique. "Écailles de Lune" s'ouvre en deux volets distincts, l'un reflétant parfaitement le premier penchant musical, le second laissant un certain espace d'expression plus rugueuse, plus black. Le chant se fond volontiers dans les nappes atmosphériques jusqu'à édulcorer la prononciation des paroles, comme pour en adoucir le tranchant de l'articulation et les rendre plus vaporeuses encore. Dix minutes passent sous les rayons métalliques de la lune, emportées sans effort dans le grand air. Dix minutes encore suivent mais d'une toute autre trempe cette fois. Le rythme s'accélère déjà à la fin d'"Écailles de Lune (part I)", en un blast finalement plutôt léger en comparaison des canons du genre, pour annoncer une couleur néanmoins assombrie. Le début est d'un calme trompeur, les arpèges et le bruit des vagues se brisant sur le rivage ne faisant que retarder l'arrivée de guitares et d'une section rythmique plus énervées, aux influences black facilement reconnaissables et par dessus lesquelles Neige hurle âprement les mêmes paroles dans un effet de contraste et de relecture du premier titre.
Pourtant on ne peut parler d'émotion tout à fait négative. La tonalité de l'album est ambiguë, explorant un éventail de gris-bleu virant parfois à l'argent métallique tout en modulant la lumière et la brillance des riffs. Le thème mélodique de "Percées de lumière" presque chaud et positif contrebalance sans peine les cris écorchés pas tout à fait torturés du chanteur. On peut d'ailleurs se demander, à la lecture des paroles brodant sur des thèmes de lumière solaire, de sérénité marine et de liberté, pourquoi ce choix artistique un peu en décalage. L'album atteint son intensité lumineuse maximale sur le si bien nommé "Solar Song", tellement empreint de liberté et de légèreté qu'on en viendrait naturellement à mêler sa voix dans le grand espace musical développé sans limite terrestre. Écailles De Lune est d'un accès aisé mais possède également une profondeur particulière, un pouvoir immersif certain dont on pourrait parfois douter lors des premières écoutes. Mais si la recette musicale ne comporte aucune surprise, la simplicité et le charme de l'univers d'Alcest ne peuvent manquer pourtant de séduire. Et laisser doucement nostalgique sur les accords acoustiques et les dernières envolées rêveuses "Sur l'océan couleur de fer".
Alcest réussit avec Écailles de Lune à nous enlever le temps d'un album pour explorer son monde un peu irréel et presque déconnecté de la réalité urbaine. Évoluant dans l'immensité océanique, remontant parfois à la surface des vagues scintillant sous un soleil matinal, les yeux plongés dans le ciel clair. Avec pour seuls bruits l'ondoiement des courants aquatiques et le souffle du vent. Avec pour seul horizon l'atmosphère vide mais sereine. Une sensation de liberté solitaire un peu triste mais irrésistible.