Ylem, sixième album des Allemands de Dark Fortress. Je vous épargnerai la comparaison avec Dimmu Borgir, non pas concernant la musique, mais le nom qui n'est que la traduction en langue de Shakespeare. Trop tard, je l'ai dit... comme, sans doute, dans toutes les chroniques parues sur le groupe, ainsi que celles à venir. D'ailleurs comme toutes les chroniques, j'ai aussi apprécié cet album aux indéniables qualités et à l'aura envoûtante, alors pourquoi pas vous?
Dark Fortress ne change pas, mais se bonifie avec le temps. Le groupe propose du black souvent mid-tempo, sale aux ambiances fortes, des relents très dark, voire des flirts avec un doom black par moment. L'ensemble est dérangé autant dans ses riffs que dans ses atmosphères, l'album est très sombre, avec cet aspect du black intelligent, mélangeant parties rapides avec des parties plus calmes et ambiantes. Et ce en gardant la même puissance musicale, un peu comme Satyricon « nouvelle époque » (musicalement ça n'a rien à voir, comprenez bien mon exemple). Une guitare souvent en arpège, avec riff par-dessus, créant une sensation de mélodie, mais aussi de décalage, une sensation au final de cohérence assez malsaine, voilà un des secrets du groupe. L'album enregistré chez Markus Stock possède un son excellent. Ces deux facteurs, le style musical et le studio rappellent très fortement Secrets Of The Moon, à cela on peut aussi les rapprocher par rapport aux morceaux assez longs (pas à tiroirs pour autant). Il ne s'agit que de théorie, dans la pratique, les deux ont des identités bien distinctes, mais le principe est là, des compos progressives avec un son très proche.
Le chant black, malsain sans être poussif possède une bonne qualité, mais est un peu trop linéaire. À cela s'ajoute aussi un chant clair, mais attention, je ne parle pas d'un refrain de metalcore, il est plus posé que le chant black, mais en gardant un fond très rauque, en parvenant malgré une tessiture assez réduite, à créer une mélodie. Ce chant est présent sur presque toutes les pistes, même si ce ne sont que quelques secondes. Il parvient donc à se fondre pour suivre les passages plus brutaux ainsi que ceux plus aériens. Le batteur, apporte un réel plus à la musique lui aussi, son jeu est fourni sans pour autant en mettre partout, bref il grossit la partie jouée et ne se contente pas de simplement suivre. Assez impressionnant techniquement, par exemple, lorsqu'il y a des parties blastées sur une caisse claire et un autre rythme sur une autre, comme dans "As the World Keels Over" ou "Osiris". Je pense qu'avec Revamp, le nouveau groupe de Floor, des regrettés After Forever, dont il est en charge du martelage des fûts, il a beaucoup moins de boulot ! Un black metal, sombre, faussement posé, s'autorisant tout de même quelques chansons plus classiques, "Silence", "Nemesis"...
"Wraith", la dernière piste de l'album est très spéciale, elle est uniquement exécutée au chant clair, qui paraît presque candide par moments et le tempo peu élevé de la composition en fait quelque chose de black metal dans ce qui est dégagé alors que musicalement c'est assez expérimental pour le genre. Agréable, mais elle aurait gagné en impact si elle avait été un brin plus courte. "Evenfall", est la thèse des morceaux typiques du groupe et de "Wraith", le chant est clair c'est-à-dire plus calme qu'à l'accoutumée, mais ce qui change, c'est le magnifique refrain, toujours en mid-tempo, mais celui-ci est... chanté! Musicalement, on reste sur ce qui fait la particularité de Dark Fortress. La notion d'émotion est très présente chez le groupe, puisque ce n'est pas un simple black metal, uniquement froid et malsain, là ça l'est, mais les riffs restent mélodiques et très riches. Les codes du style sont donc présents, mais sont appropriés par le groupe pour créer quelque chose, non pas de nouveau, mais d'identifiable et de personnel. Les Allemands se démarquent du tout pour faire quelque chose de personnel, à la fois en gardant les codes du style, mais aussi en les cassant (les paroles sont le meilleur exemple de cette dualité).
C'est dommage, l'album souffre de sa longueur, même en le connaissant, certains passages peuvent sembler redondants, voire à rallonge. Malgré ça, Dark Fortress atteint une maturité, en effet, dans la masse de groupes de black (qui vont de l'excellent, au ridicule en passant par le statut de demi-dieu totalement illégitime de certains groupes), il y a à boire et à manger. Eux sont, comme nous l'avons vu, sur le point de devenir quelque chose de grand, à chaque album ils poussent la barre plus haute, ici en innovant encore dans un des styles les plus hermétiques du metal et vu l'accueil unanime qui lui a été accordé... L'expérimentation est réussie.