CHRONIQUE PAR ...
Joe Le Hareng
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
18/20
LINE UP
-Kurt Cobain
(chant+guitare)
-Krist Novoselic
(basse)
-Dave Grohl
(batterie)
TRACKLIST
1)Serve the Servants
2)Scentless Apprentice
3)Heart-Shaped Box
4)Rape Me
5)Frances Farmer Will Have Her Revenge on Seattle
6)Dumb
7)Very Ape
8)Milk It
9)Pennyroyal Tea
10)Radio Friendly Unit Shifter
11)Tourette's
12)All Apologies
13)(Gallons of Rubbing Alcohol Flow Through the Strip)
DISCOGRAPHIE
« Teenage angst has paid off well, Now I'm bored and old. » C'est sur ces vers que débute In Utero, témoignage auditif d'un paumé génial arrivé trop vite, trop loin. Quatre années seulement séparent Bleach d'In Utero, pourtant le groupe semble avoir parcouru des années-lumière, emportant dans son élan toute la scène undergound américaine pour l'exposer aux feux de la rampe. Lassé de tout ce cirque, débordé par ce succès qui le dépasse, Cobain souhaite briser le carcan Nevermind et revenir à des sonorités plus garage, plus râpeuses.
Il suffira de 15 jours à Steve Albini pour enregistrer In Utero. Deux semaines pour donner un successeur au monumental Nevermind. Le groupe est formel, il veut In Utero plus sale et viscéral que le précédent album, plus proche des premières amours underground du combo. Le génial Albini accède au désir de la bande à Cobain et fera tout pour capturer l'urgence et la détresse de Cobain. L'histoire est pourtant plus complexe que ça et de nombreuses dissensions naitront entre le groupe et Albini à propos du son de l'album. Un remixage plus tard, In Utero sort en septembre 1993 et atteint directement la première marche du Billboard, les puristes s'agenouillant devant la volonté de Cobain de ne pas tomber dans le mercantilisme, heureux de retrouver la rage de Bleach, les autres s'accrochant çà et là aux accents pop mélodiques de Nevermind.
Car c'est bien là toute la force de Cobain, capable, sans même le vouloir, de fédérer deux mondes qui s'opposent sur un même titre : malgré toute la rage qu'il lance dans la bataille, il ne parvient jamais à faire oublier le formidable mélodiste qu'il est et que bien souvent, au détour d'un riff noyé dans la distorsion de guitares plus crues les unes que les autres, on est pas à l'abri de prendre une superbe chanson dans le coin de l'oeil. Alors les titres se suivent sans se ressembler, accumulant sur une quarantaine de minutes des morceaux disparates et essentiels. Le superbe et désabusé opener "Serve the Servants", sert de transition avec Nevermind : oubliez la puissance de "Smells Like Teens Spirit" et accueillez le rock sale et cru de "Scentless Apprentice". Grohl confine au génie (et ce son de batterie!), Novoselic se jette dans la bataille et la guitare de Cobain ne prend même pas la peine de former des accords, servant juste de tremplin à la rage chantée du blondinet.
Car c'est bien là toute la force de Cobain, capable, dans le même morceau d'adopter le chant caressant, légèrement larmoyant du songwriter qui a pas mal écouté Cohen et Young et celui écorché du gamin qui vénère Iggy Pop... Un seule écoute de la magnifique "Pennyroyal Tea" suffira à convertir les sceptiques qu'"Heart Shaped Box" n'a pas su convaincre. Le reste de l'album ne fera que confirmer ce que l'on savait déjà, Cobain et ses deux acolytes ont cette science peu commune de transformer une bonne idée en bonne chanson, à l'instar de la nerveuse "Very Ape" qui transforme deux accords en bombe noise rock, de la minimaliste "Milk It" et de la couillue "Radio Friendly Unit Shifter". Un morceau rageur et décousu plus tard et c'est déjà la fin, annoncé par les arpèges d'"All Apologies", sorte de testament sonore d'un artiste victime de son propre succès.
Les années ont passé et In Utero n'a pas pris une ride. Phagocyté par l'immense succès de Nervermind, le dernier album de Nirvana est pourtant, pour de nombreux fans, le meilleur qui soit sorti des tripes de Kurt Cobain. Emprunt de rage, torturé, sombre, mais aussi doux et réfléchi, In Utero est un album essentiel qui témoigne de l'immense talent d'un gentil garçon venu de Seattle, propulsé en peu de temps au rang de rock star, lui qui ne voulait rien d'autre que d'écrire des chansons.