Genesis -
The Lamb Lies Down On Broadway
Ah, Rael... il nous aura bien fait rire, l’animal ! Oh, peut-être qu’ils l’ont vraiment emmené, ces fameux extraterrestres... mais après, réussir à s’en faire un business, chapeau ! Sa dernière découverte en date étant le clonage humain, dont on attend toujours les preuves... et pourtant, il y a bien eu à Rael, il y a près de 30 ans... peu de gens ont pu le voir, puisque personne n'y prêtait attention... Rael, punk portoricain désirant tenter sa chance à New York, sans savoir ce qui l’attendait... sans savoir pourquoi cet agneau gisait là, sur Broadway...
Nous sommes en mai 1974, et Genesis rentre d’une tournée triomphale, aussi bien de ce côté de l’Atlantique que de l’autre. Les spectacles sont fantastiques, avec projections, jeux de lumières et explosions ; le groupe semble soudé comme jamais, et pourtant... pourtant, il y a problème. La médaille du succès a son revers, et la presse va s’empresser de le souligner : on commence à lire, un peu partout, que Genesis ne doit sa gloire qu’à Peter Gabriel, qu’il écrit et compose tout, et que les autres ne sont que des musiciens d’appoint... tous les titres étant crédités au nom de Genesis, toutes les spéculations sont possibles... toutefois, l’avenir nous dira que si Peter écrivait en effet la majorité des paroles, il n’intervenait en rien dans la composition... mais le mal est fait, et lui qui ne voulait pas ça, sent soudain un malaise au sein du groupe, et s’en écarte quelque peu pour collaborer avec William Friedkin sur un projet de musique de film... dans le même laps de temps, naît sa première fille, hélas l’accouchement se révèle problématique, et le bébé est en danger de mort...
L’enregistrement commence alors... le groupe devra faire sans Peter les premières semaines. Une fois le projet de Friedkin tombé à l’eau, il ne tarde pas à les rejoindre... et les voilà qui décident de se lancer dans un concept-album... en résulte The Lamb Lies Down On Broadway double album colossal paru en novembre 1974... et là, vous vous dites : « Quoi ? Un double album en moins de six mois ? Ouhlà, ça sent le truc bâclé ! ». Et moi, je vous réponds : « Non, ça tient du miracle. »
Oui, car cet album est, incontestablement, le meilleur que Genesis ait pu faire et fera sans doute jamais. Tout simplement puisqu’il incarne à lui tout seul une période, une ère de l’épopée Genesienne : plus rien à voir avec les histoires et autres comptines britanniques passées ou à venir ; plus rien à voir avec le progressif ; plus rien à voir avec... attendez ? Plus rien de progressif ici ? Pas exactement... mais écoutez Selling... et The Lamb... ensuite, et vous verrez qu’un monde les sépare. La vérité est donc là : Genesis est donc parti dans une autre dimension, hors des clichés prog, hors des clichés tout court. Quel sens donner à une phrase comme « Your progressive hypocrites hand out their trash But it was mine in the first place so I’ll burn it to ash ! » Comment ça, ils voudraient la mort du progressif ? Ou plutôt, en sortir ! Aller encore plus loin ! Une progression... dites, c’est pas un peu paradoxal, tout ça ?
Ou alors, assez tordu ? Comme le concept en fait : le voyage de Rael dans un New-York insoupçonné, rempli de bizarreries en tout genre, dont l’agneau n’est qu’un prémice : un voyage dans l’absurde et le surréalisme, quasiment impossible à retranscrire sans en perdre finalement tout l’intérêt. Soyez donc prévenus : voici l’album le plus difficile de toute la carrière de Genesis. Mais en contrepartie, quelle richesse, quelle densité... il n’y a pratiquement aucun thème récurrent dans ce concept et pourtant, quelle cohérence... et surtout, aucune faiblesse. Il y a bien "Counting Out Time", à la mélodie un peu facile, mais les paroles sont si savoureuses... et parmi les plus compréhensibles de l’album.
Et quand on a des "Carpet Crawlers", "Anyway", "The Lamia", si touchantes et si troublantes... des instrumentales comme "Hairless Heart" ou "Ravine" propres à l’évasion... des morceaux plus classiques comme "Back in NYC" ou le morceau-titre, terriblement efficaces... mais chaque titre est lié au reste, si bien qu’écoutés indépendamment, ils perdent de leur magie et de leur force.. Il faut donc s’ingérer les 2 CD d’une traite, autant de fois qu’il le faudra, puisque de toute manière, je ne vois pas comment on pourrait se lasser d’un tel album. Il y a tellement de choses... tellement de détails... un coup de main de Brian Eno ? Il n’est crédité que pour "The Grand Parade of Lifeless Packaging" (certainement le titre le plus étrange du disque), mais mon petit doigt me dit que sa contribution a pu ne pas s’arrêter là... ou alors, il leur a montré la voie à suivre... montré que les recherches sonores étaient aussi intéressantes que les recherches musicales, et que là, résidait l’évolution.
Et ainsi, Hackett se trouve un nouveau son, plus moderne, plus policé, qui s’effacera sur l’album suivant pour revenir en force avec Wind and Wuthering ; Collins se fait encore plus subtil que précédemment ; Gabriel est à la fois plus et moins expressif : moins théâtral, et paradoxalement plus convaincant, et parfois laisse libre cours à ses racines soul ; Rutherford est toujours en arrière, et toujours percutant ; Banks, enfin, a laissé de côté l’aspect « pompier » propre au progressif (excepté quelques merveilleux solos) et se concentre ici sur les ambiances.
Mais tous ont nuancé leur propos, tous se font plus discrets, et ce qui avait été approché sur Selling... se réalise ici pleinement : l’osmose totale. La musique, et rien d’autre. Et finalement, on oublie qu’on a ici affaire à un album de Genesis, le groupe de Nursery Cryme, Foxtrot et les autres... On oublie l’affiliation au prog, on oublie la grandiloquence, et on se laisse emporter dans cette histoire abracadabrante, à laquelle on a tellement envie de croire... The Lamb... ? Une œuvre majeure des années 70. Oh et puis non: une œuvre majeure, point barre.