Année : 1993, année sainte du black métal.
Lieu : Norvège, hôte de la Révolution du genre.
Acteurs : Emperor, groupe de black métal avant-gardiste.
Synopsis : Essayer d’imaginer l’impact qu’un tel album a pu avoir sur la communauté métal de l’époque.
Hypothèse de départ : Essayer de prendre l’album objectivement pour ensuite s’extasier.
Conclusion : L’Europe est prise d’assaut et conquise par des vagues dont l’onde de choc se fait encore ressentir.
Aborder Emperor et In the Nightside Eclipse, c’est faire un saut dans le légendaire et l’intouchable. Emperor est un groupe tellement vénéré que ne serait-ce qu’égratigner le mythe est interdit. In the Nightside Eclipse est un album qui a provoqué tellement de remous qu’il est inconcevable d’en émettre la moindre critique. Parfait. Pourtant l’idée même d’une chronique est d’apporter un avis éclairé et plus ou moins objectif. Essayons donc de rayer le mythe, sa dorure n’étant pas indestructible. In the Nightside Eclipse ce sont 8 chansons dominées par l’Unique. Un peu comme dans le Seigneur des Anneaux avec son précieux Unique fait pour dominer tous les autres. "Into the Infinity of Thoughts" est cette Unique, cette précieuse qu’on vénère sans poser de question et qu’on écoute religieusement pour en saisir la plus infime parcelle de musique. Oui, car cette chanson est un miracle de 9 minutes. Intense comme jamais il n’en était avant dans le black métal, céleste et spatiale, servie par un son d’une froideur arctique et géniale, elle démarre par une intro presque mécanique, avant… Avant. Oui, avant LE riff. Celui qui a défini Emperor comme un groupe phénoménal. Un riff monumental qui sera repris à l’envi durant toute la chanson. Et des claviers parcimonieusement utilisés pour napper la composition de leur douceur. Ce sont aussi des variations subtiles et évidentes. Et un final divin aux relents d’appel à Dieu. Sauf que Dieu n’existe pas malheureusement pour vous. Et encore moins pour Emperor.
S’il n’y a là absolument aucune corrélation, le jeune groupe est tombé dans le péché de la vanité. Il s’est cru suffisamment fort pour tenir la route après un début aussi titanesque. Non. Personne ne peut faire face à un tel tsunami. Alors il retombe sur Terre et pond des chansons simplement exceptionnelles. "Towards the Pantheon" fait partie de ces (presque) ordinaires compositions à qui l’impossible tâche a été confiée de maintenir le rythme. Le plus effarant est qu’elle y arriverait presque. Autour d’un riff simple et froid s’entortille une montée en puissance qui happe l’auditeur pour l’ensorceler et le reposer ébahi. Encore un coup de génie. En fait, cet album en est bourré. Pourtant il est difficile de passer d’une "Into the Infinity of Thoughts" à "The Burning Shadows of Silence" et ceci marque le plus grand défaut de cette galette. Un manque d’équilibre (quoiqu'on pourra argumenter à raison que les 7 dernières chansons sont indiscutablement homogènes). Bref, oui, In the Nightside Eclipse n’est pas parfait. Mais balayons d’un revers de la main cette assertion pour saluer ce groupe qui en 1994 proposait des claviers dans le black métal. Certes, Bathory l’a fait dès 1986 avec Under the Sign of the Black Mark, mais pour la première fois de l’Histoire du black, un album était réellement renforcé par des claviers qui faisaient office de véritable instrument.
Un choc incommensurable à l’époque. Et aujourd’hui encore une claque ravageuse dans la face de n’importe quel néophyte dans le genre. Quel amateur de musique noire ne se souvient pas avec émoi de sa première rencontre avec ce pilier inamovible du black métal ? Emperor posait là les jalons de ce qui se révèlera plus tard être une niche très fertile et incroyablement populaire, le black symphonique (et ses dérivés évidemment). Lauriers à distribuer aussi, aux protagonistes. Une basse invisible certes, mais des guitares cosmiques suffisamment bien armées pour offrir monstres riffs, simples et froids et pourtant subtils. Bravo messieurs Samoth et Ihsahn. Une batterie supersonique, aux breaks justes et mesurés qui résulte du travail maîtrisé de Faust. Enfin des claviers impeccables et un chant tout simplement extraordinaire. Un raclé diaboliquement personnel, un timbre unique qui rehausse encore la qualité des compositions de cet album et ce n’est pas un mince exploit. Double salve d’applaudissements donc pour Ihsahn. Et même si la différence est marquée entre le premier pavé et les autres chansons, il ne faut pas faire la fine bouche face à des riffs quasiment tous merveilleux. Car outre les chansons déjà citées, 3-4 mériteraient aussi largement d’apparaître nominalement dans ces modestes lignes pour souligner leur qualité.
Pourtant elles resteront dans l’anonymat (le plus relatif qui soit puisqu’elles vous sauteront aux tympans). Quelle est l’utilité de citer les ¾ des chansons d’un album ? Pure perte, ce serait les noyer toutes les unes par les autres alors qu’elles méritent toutes l’oreille attentive de l’auditeur. L’auditeur novice qui d’ailleurs fera des envieux et jaloux car il découvrira pour la première fois cet album et en ressortira béat. Le genre d’expérience qu’on aime vivre. Mais l’auditeur rompu à In the Nightside Eclipse est tout aussi chanceux, car à chaque fois qu’il met son cd dans son lecteur (ou son vinyle) il sait ce qui l’attend : un Monument.
P.S. : Pour ceux qui achèteront la réédition, ils trouveront 2 reprises sorties de l'EP Reverence, "A Fine Day to Die" de Bathory et "Gypsy" de Mercyful Fate, 2 preuves que Emperor savait tout faire. Et bien.