Chronique : Korsakov Pogruzhat (2021)

CHRONIQUE PAR ...

Merci foule fête
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2022

Sa note : 15/20

LINE UP

-E.
(chant+programmation)

-A.
(tous les instruments+programmation)

TRACKLIST

1) I
2) II
3) III
4) IV
5) V
6) VI

DISCOGRAPHIE

Pogruzhat (2021)
Anosognosia (2025)

Korsakov - Pogruzhat

(2021) - black metal post-black avec touches electro - Label : Source Atone Records

Perte de mémoire, perte de sens, enfermement, délire : ces thèmes ont été maintes fois abordés de manière plus ou moins profonde dans le rock, le metal et plus particulièrement le black metal, catégorie à laquelle appartient une formation de naissance récente dénommée Korsakov. Duo originaire de Lille, Korsakov tire son nom d'un syndrome effrayant se caractérisant par une perte irrémédiable de la mémoire et une forte tendance à l'affabulation. L'intitulé de son premier album, Погружать (Pogruzhat), signifie « immerger » : une plongée dans les eaux troubles de la maladie.

Le projet fondé en 2019 par Antoine Pohu, batteur du groupe de sludge SunStare, a connu une trajectoire ascendante : initialement diffusé sur la plateforme Bandcamp, Погружать a attiré l'attention du tout jeune label Source Atone Records, qui a notamment sorti le salué Gods de Saar et fait de même avec le LP de Korsakov à la fin de l'année 2021. L'intérêt suscité par ce dernier s'explique par les qualités développées tout au long de ses six chapitres, la plupart se déroulant selon un schéma similaire : à une amorce au calme trompeur succède un déluge hurlant scandé par une batterie métronomique, entrecoupé d'accalmies de durée variable. Les vocaux, sans paroles, tirent vers les aigus réglementaires sans verser dans la stridence déraisonnable – on n'est pas chez Cradle of Filth. Leur texture spectrale qui évoque davantage le postcore atmosphérique d'Inter Arma devient carrément fantomatique sur "IV", interlude façon boîte à musique engourdie surgissant des brumes indispersables de souvenirs perdus.
Cette pause apparente n'en est pas vraiment une car la mélancolie qu'elle distille, à l'instar de la boucle electro dark de "II", est en adéquation avec le climat général dans lequel progressent les autres pistes. Telles des mantras douloureux, elles sont obstination, colère et désespoir, blocs de fureur métallique percés de mélodies paroxystiques, rappelant par séquence Der Weg Einer Freiheit. Certes, pour apprécier ce recueil de post black, il faut accepter l'insistance de certains motifs. Cependant les morceaux comportent suffisamment de modulations pour éviter le monolithisme barbant, et si la lente conclusion de "III" risque de provoquer une légère baisse d'inattention – le thème final vaut pourtant qu'on s'accroche - "I" et la première partie de "VI" sont portés par un dynamisme rageur confinant à la transe, tandis que le déferlement final de "V" bonifie un passage central poignant sur lequel est sublimé le chagrin né de la réclusion mentale.

À la fois puissant et contemplatif, âpre et sensible, le premier essai de longue durée proposé par Korsakov est une franche réussite. Maîtrisant leur sujet, les Nordistes proposent une œuvre intelligemment construite dont ils font suinter une tristesse cinglante, palpable, intime. Selon l'humeur, on pourra se laisser engloutir ou y entendre une possibilité d'aide, voire même un espoir de réconfort, à l'image de l'artwork à double sens figurant une main dressée au-dessus des flots.