Vous allez me dire que je m'engouffre bien aisément dans la brèche des chroniques livresques. Oui. Après celle offerte par notre estimé compère Winter, Violent Instinct, et celle que je me suis employée à rédiger moi-même, La Forme du Désespoir (Les Arbres de l'Eternité), il me prend l'envie de vous convier à la lecture d'un troisième ouvrage. Le rapport ici avec le metal, le prog et le rock, raison d'être de notre page ? Aucun, de prime abord. Il n'est nulle question de musique ici. Il ne s'agit pas d'un roman ayant pour décor les planches d'une scène dédiée à recueillir la sueur de musiciens enflammés et les grondements d'une foule en délire. Son héros n'est pas non plus un amoureux transi des accords mineurs et autres voix en maxima graves. Non. Mais il est un état d'esprit. Identique. Et une profondeur de champ incroyable. Et pour cette seule et unique raison, je souhaite en parler. Car il me semble qu'un pont peut très aisément être fait pour toute amateur de musique sombre et inspirée et que par conséquent, vous, lecteurs des eternels.net, y trouverez intérêt. D'autant que l'auteur vibre également au chant de nos muses bien aimées, comme en témoigne la playlist qu'il vous propose pour agrémenter votre périple littéraire.
Pour la petite histoire, cet ouvrage, dont le premier tome vient de paraître aux Éditions Livresque en ce mois d'octobre 2019, a initialement été édité (également pour le tome 1) aux éditions Vents Salés en mars 2017 sous l'appellation:
Je suis Celui qui Suit (
je laisse libre court à votre imagination sur la petite distinction orthographique et le sens qu'une simple lettre changée peut faire porter à cette phrase, au demeurant tout à fait singulière). Fruit d'un conséquent travail de rebasage stylistique, cette nouvelle édition se veut encore plus fine et mâture que la précédente.
«
Il sursauta alors qu'un éclair lui traversait la tête; ses mains montèrent devant son visage pour le protéger tandis qu'en lui résonnait la détonation. Las, ses gestes moururent en un instant: ni coup de feu, ni odeur de poudre, ni cri, rien d'autre qu'un souvenir lancinant qui continuait de le hanter ».
«
Entre rêve et réalité, au précipice de la folie... »
Je Suis Celui qui Suis, signé Cédric Gorré, débute donc ainsi. Par ce «
la ». Par un parfum de cordite, inexistant, mais que l'on imagine pourtant si aisément qu'on le respire déjà à pleins poumons. Par cet impact, qui n'a pas lieu mais dont on se figure le résultat sans peine. Et par ces cris, qui résonnent, assourdissants et pourtant, silencieux. L'ouvrage s'ouvre ainsi, sur ce sursaut de Carl Stemsein.Un être, légèrement différent de ce à quoi l'on pourrait s'attendre, et ce n'est pas son médecin, le Dr «
Freud »
Hartmann, qui contredira cette assertion lorsqu'il sera «
convié » à l'aventure. Carl, en effet, est un personnage plus que tourmenté. Suspecté d'avoir massacré sa femme et sa fille, mais innocenté par la justice, faute de preuves. Dévoré depuis le drame par l'alcool, les drogues et autres «
stimulants » prompts à parasiter/ soulager son esprit perclus de douleurs. Un esprit mis à l'épreuve de la folie quotidiennement: lorsqu'il se réveille, baignant dans l'écho d'un terrifiant cauchemar qui revient sans cesse le hanter; encore lorsqu'il contemple une toile peinte dont il ne se souvient pas avoir tracé les contours, alors que la peinture forme ses croûtes colorées sur lui. Cerclé entre la réalité d'une maison de famille où il se laisse exiler par son médecin sous le prétexte de recouvrer une santé autant physique que mentale, et sur laquelle il s'acharne avec rage tout autant qu'il s'acharne finalement sur lui-même - pour survivre - et ses visions qui ne sont autres que la projection effroyablement rituelle du bain de sang qui a emporté ses femmes, Carl Stemsein cherche peu à peu les clés de sa mémoire brisée. Et pour transcender cela, cet indice, oppressant : «
Je Suis Celui qui Suis », une phrase qu'il aurait tracé lui-même sur les lieux du drame, du sang des victimes. Cette phrase qui, petit à petit, réapparaît sous ses yeux et prend sang et sens, qui le tourmente, autant que cette balle qui fend l'air et qu'il n'a de cesse de fuir.
Carl Stemsein est un personnage dont on ne parvient jamais à tracer les contours de l'apparence physique, mais dont immédiatement on s'empare comme s'il était notre identité propre. Pourquoi ? Parce que la narration est ici terriblement réaliste. Un carrelage froid sous les pieds de Carl nous ferra frissonner. Une odeur de sang dans ses narines nous soulèvera le cœur. Une lampée d'alcool sous sa langue, glissera dans notre gorge desséchée. Combien de cigarettes de marque Red Apple ai-je fumé durant cette lecture ? Je l'ignore, mais j'en conserve le souvenir intact d'un larynx charbonneux, cramé à la flamme que j'ai allumée et aspirée avec fébrilité. Alors, imaginez... une douleur. Une tranchante douleur... ce qu'elle va laisser sur vous lorsque vous en lirez la simple description. Et ce n'est encore rien. L'écriture de Cédric Gorré est d'un réalisme stupéfiant que je qualifierais de cinématographique, aussi acérée qu'une lame japonaise peut l'être dans un film signé Quentin Tarentino, mais encore, aussi déroutante qu'un rêve lovecraftien filmé caméra sur l'épaule. La richesse de ses mises en situation est simplement sidérante et l'originalité de l'haletant scénario, éclatante. Cédric Gorré nous tient ainsi la dragée haute tout du long de cette œuvre qu'il conduit d'une main de maître, et l'on ne peux que se laisser emporter.
Je Suis Celui qui Suis se dévore, pour ainsi dire d'une traite. Cédric Gorré ayant cet authentique talent de vous saisir à la gorge d'une main de fer et de ne lâcher prise qu'à la dernière page. Et encore, il ne vous laissera pas intact. Ce livre est un ouvrage puissant, atypique, très loin des codex du thriller traditionnel. Il n'y a nulle hésitation à avoir avant de s'en emparer. Mais soyez prévenus, vos sens seront mis à rude épreuve dans ce seul tome 1. Et c'est bien là l'intention de son très estimable auteur, qui vous réserve encore bien plus pour la suite !