« Le thrash metal aux États-Unis, c'est la Californie et Anthrax. » Pour cinglante qu'elle soit, cette formule propre au début des années quatre-vingt ne tombe pas tout à fait juste: car si un nombre conséquent de formations pionnières essaime effectivement dans le Golden State depuis l'avènement de Metallica, Slayer & co, quelques secoués se jettent aussi dans la fosse pour tenter de faire contrepoids à l'Est, aux côtés des New-Yorkais d'Anthrax. Parmi eux, un gang répondant au doux nom d'Overkill entend bien asséner ses arguments avec toute la vigueur requise, et ce dès son premier album.
Fondé sur les cendres des Lubricunts, des punks romantiques, Overkill tarde à stabiliser son personnel autour de ses deux membres fondateurs, le batteur Rat Skates et celui qui se fait encore appeler D.D. "Blaze", imagerie glam oblige. Après plusieurs essais et pas mal de galères – la participation du futur Anthrax Dan Spitz, qui se prenait pour Van Halen, n'ayant pas vraiment été fructueuse - le line-up se consolide avec l'intégration du guitariste Bobby Gustafson et d'un deuxième Bobby, le dénommé Ellsworth, chanteur de son état, rebaptisé "Blitz" par D.D. "Verni" en référence au mode de vie notoirement extravagant du frontman à bouclettes. Les natifs du New Jersey – oui, comme Bon Jovi – se débarrassent assez vite du gloss et des platform boots, puis sortent une démo suivie d'un EP éponyme à la tonalité globalement agressive, hormis le long et lent "The Answer", très inspiré du "Phantom of The Opera" d'Iron Maiden dont le logo au lettrage caractéristique a déteint sur celui, verdâtre, que Rat Skates a dessiné pour Overkill. Ces jeunes gens ne seraient-ils donc que de vils plagiaires ? De prime abord sans doute, mais sur Feel the Fire, plusieurs éléments démentent cette impression et constituent autant de preuves de la volonté du quatuor de restituer ses influences à sa manière. S'agissant des solos, le Bobby gratteux se révèle un indéniable gourmand, à l'instar de la plupart de ses confrères de la New Wave of British Heavy Metal fraîchement retraités à de prestigieuses exceptions près, dont Iron Maiden. La concision punk lui étant manifestement étrangère, le six-cordiste parsème l'enregistrement d'intenses envolées récitatives, arrachant notamment le bref "Blood and Iron" de la poigne hardcore qui l'avait modelé. Néanmoins, en dépit de quelques longueurs – sur "Hammerhead" par exemple - et d'un passage plus posé sur la chanson-titre, Gustafson ne s'adonne pas, loin de là, aux épanchements nombrilistes de ses aînés de la décennie précédente. Pressé par des tempos frénétiques qui le contraignent à dynamiser la quasi totalité de ses partitions, le New-Yorkais de la bande se met au diapason du collectif, qui n'aime rien tant qu'appuyer sur le champignon dès que l'occasion se présente.
Alors oui, celui-ci pioche allègrement dans la boîte à riffs du heavy metal traditionnel, ce dont témoigne, entre autres, le motif d'ouverture de "Feel the Fire", très proche du "Desert Plains" de Judas Priest. Mais la vitesse à laquelle la grande majorité d'entre eux sont exécutés contribue à faire basculer l'ensemble dans le camp sulfureux du thrash metal, sur le modèle des grands frères pré-cités dont l'ombre tutélaire plane sur la plupart des morceaux. Ainsi le riff de "Rotten to the Core" rappelle celui de "Die by the Sword" de Slayer et plus généralement, ça mouline sec sur les couplets, ça secoue sur les refrains et ça s'emballe sur les breaks. Bien que les assauts du couple guitare-basse donnent parfois la sensation d'assister à un récital de tronçonneuse polyphonique, le son sale et saturé renforce la tension âpre qui parcoure le recueil. Quant au chant de Bobby "Blitz" Ellsworth, légèrement chevrotant et nasillard, il évoque une sorte de Jello Biafra (Dead Kennedys) en regain de puissance et se démarque de celui de ses confrères du metal extrême: légèrement emphatique, aigu, affûté, il dynamite toutes les pistes grâce à la singularité de son timbre et la hargne palpable de son titulaire – le différentiel avec la prestation originelle et goudronnée du bougon Stiv Bators sur "Sonic Reducer", une reprise des Dead Boys, est particulièrement éloquent de ce point de vue. Histoire sans doute de se décharger d'un trop-plein d'adrénaline, Ellsworth ponctue en outre nombre de ses interventions par des cris vitrifiants, dont un terminal et saisissant « Kill! Kill! Kill! » sur l'infernal... "Overkill", clôture foudroyante d'une réalisation sans réelle faiblesse. Mis à part - et encore - le bancal "Kill at Command" sauvé par Gustafson grâce à l'un de ses meilleurs solos, aucun temps mort ne vient gâcher la foire aux bonnes idées que représente Feel the Fire, initié par un "Raise the Dead" survitaminé et rehaussé par le tourbillonnant "Second Son" qui, à l'instar des autres compositions, fait l'effet d'une tornade qui s'abat sur l'auditeur, tout heureux au final de s'en sortir la tête à l'envers après avoir été ballotté dans tous les sens.
Sur son premier LP suintant de morgue fougueuse et ricanante, Overkill lâche ses coups comme autant d'uppercuts sonores et montre son aptitude à se mêler aux valeurs montantes du thrash metal nord-américain. Doté d'une production vrombissante et d'une écriture incisive, dopé par un vocaliste spectaculaire, Feel the Fire valide ce que les musiciens promettent sur son incandescente pochette : un baptême du feu réussi.