Taïwan – ou République de Chine pour les puristes – est une nation plus connue pour ses compétences dans les hautes technologies, que pour sa qualité de production dans le secteur metal. Pourtant, avec ses groupes Chthonic et Anthelion, il commence à se forger une petite réputation sur la scène black symphonique. Ici, oubliez la noirceur et faites place à une certaine gaieté assez originale et inattendue.
Haamoja appartient à la catégorie des projets solos. Eh oui, un énième groupe d’un musicien unique. Pourtant, avec une population à peu près équivalente au tiers de notre patrie, pour une taille dix-huit fois moindre, il aurait été aisé de trouver quelques troubadours ou mercenaires pour l’épauler dans sa tâche. De son vrai nom, Yao Ting Lee, l’homme à l’origine de cette création s’est mis en tête d’assurer toutes les parties instrumentales de son œuvre. Cela passe donc par la guitare, la basse, mais aussi la batterie et le clavier, sans parler de la programmation et de la production. Préférant laissé le chant à la T-Pop (pop taïwanaise, dans la veine de la J-Pop), il a tout simplement choisi de ne pas en intégrer, et c’est sûrement mieux ainsi.
Depuis la création d’Haamoja en 2014, Yao Ting Lee a déjà eu le temps de sortir un EP six titres du nom de Liberation le juillet de la même année. S’en est alors suivi le single "Creativity" en guise de préambule de son full-length apparu un an plus tard, en août. Une évolution logique au niveau musical, restant dans la veine d’un metal progressif flirtant avec la bordure du djent, le tout allié à du jazz. Allez, soyons fous et osons employer le terme « djazz » pour décrire cette musique. Et pourtant, ce n’est pas son court passé – le gaillard n’ayant que vingt-quatre ans – de compositeur de bande-son pour réclamation télévisée, qui nous aurait fait parier une seule minute sur une telle tournure.
Pourtant, c’est bel et bien ce par quoi nous sommes bercés durant ces douze titres. Ne vous attendez pas à une structure basique « couplet – refrain – couplet – refrain », car Haamoja se veut déstructuré, désordonné, débridé, déréglé, mais avant tout accessible. Chaque chanson a une saveur particulière, mais toutes restent subtiles sans tomber dans le stéréotype, le « too much ». Une bande-son Miyazaki dans "Return To Zero", du metal prog dans "Light Up", du Animals As Leaders dans "The Dust Of Time", du free jazz avec une basse mise en exergue dans "Sweet Bubbles" et un melting pot de tout cela dans l’excellente "Take Me To The Future", c’est presque parfait. Surtout quand tout cela est ponctué par la présence des – très – jeunes Anund Vikinstad et Matt Harnett, sans oublier le talentueux Australien Plini. Loin d’être une coïncidence.
Une petite incongruité vient quand même mettre en balance l’excellence de la prestation. Et elle réside dans la durée de l’album. Car douze pistes pour un total de quarante minutes seulement, cela semble assez juste pour pouvoir ancrer son appartenance à un style qui propose des durées plus conséquentes. Trois minutes trente de moyenne (2’41 pour "Adrift"), c’est dommage. Au lieu de couper des pistes assez brutalement et ne pas faire de jolies transitions, on aurait pu se retrouver avec des titres qui s’étendent un peu plus et ne nous laissent pas un sentiment de frustration. En somme, Natural Evolution nous fait décoller, mais ne nous fournit pas le laps de temps nécessaire nous permettant de rester en vol stationnaire.
Belle surprise que ce groupe aux origines non moins surprenantes. Yao Ting Lee livre donc un album plus que correct et sérieux, et on sent une influence vidéo-ludique assez forte dans ces compositions. A croire que Jerry Martin, le créateur de la bande-son des Sims lui a filé un petit coup de main. Après avoir construit une belle pièce, on attend que la maison s’agrandisse et devienne plus conséquente. Après tout, ça ne serait rien de plus qu’une évolution naturelle.