CHVE est-il opium ?
Une note, unique. À la manière de ce souffle que nous avons tous perçu au moins une fois, celui de ces grandes orgues. Non point l'instrument ici, mais uniquement la sensation produite. Cette note initiale, cet instant où l'organiste impose le Silence à l'assemblée et où tout semble être suspendu. Ainsi s'introduit Rasa. Un instant infiniment long et infiniment bref. Une note unique. Qu'est ce que l'attente, ici et maintenant ? Que l'on soit de nature impétueuse, impatiente, exacerbée, frénétique.... n'a plus la moindre importance. Tout est balayé. La patience nous est enseignée en une fraction de temps devenue ridicule. À cet instant, nous savons déjà que l'on va nous prendre par la main, nous happer même, pour nous conduire à faire un voyage particulier, qui n'est plus celui du commun des mortels. Nous ralentissons alors, nous nous arrêtons enfin, nous oublions. Tout.
S'élève alors ce chant. Non point éraillé, dissonant parfois et presque venimeux que nous connaissons d'Amenra. Non. Ici, une douce brume se lève. Et nous l'accueillons. Et l'on croit distinguer dans cette masse blanche une unique silhouette, ses mains encadrant son visage pour porter sa voix plus loin. Elle nous appelle. Elle nous invite à contempler. Et lentement, nous nous approchons. À pas feutrés, pour ne pas risquer de troubler cette soudaine sérénité qui nous enlace. Irrésistiblement, nous pénétrons dans cet univers étrange et familier à la fois. Loin de tout. Un chant et cet hurdy gurdy, instrument si inhabituel, lancinant, et merveilleux ici. Quelques percussions. Des éléments simples. Évidents. Et pourtant, les harmonies sont riches, denses, elles nous enveloppent, sans besoin d'un quelconque artefact supplémentaire.
Nous avons connus des « messes ». Mais celle-ci est d'une autre nature. Les sonorités qui s'élèvent semblent transcender les cultes et les époques. Messianiques, orientales, tribales ou chamaniques. Tout se mêle et se confond de manière si évidente. Le chant est liturgique, mais d'une liturgie de tous horizons. Et lorsque les percussions se font connaître, c'est juste la peau tendue sur la caisse que nous ressentons, nous en sentons la texture, nous en percevons presque l'odeur ; la vibration produite par les mains et qui remonte dans tout le corps de celui qui frappe, se répercute alors en nous, comme si nous-mêmes frappions sur cette peau tendue. Nous entrons en transe. Une transe sans couleur. Intime. Unique. Le martellement se fait alors progressivement plus intense, plus nourri. Figurant une multiplicité croissante. Et d'un, nous devenons plusieurs.
Plus tard, des cymbales et une frappe, oh combien familière. Régulière. Lente. Comme un mantra. Un pouls doom rassurant. Simple. Une fois encore. Tout du long des minutes qui s'égrènent comme rien, aucune montée en puissance fulgurante. Aucune accélération fébrile. Aucun changement de rythme radical. Non. Une fluidité sans faille. Un instant de contemplation parfait. Le temps semble juste nous échapper. La notion même, oubliée. Lorsque la musique s'arrête, la conscience des choses et du silence devient à ce point pénible que spontanément l'on s'engouffre à nouveau au cœur de cette brume si belle.
Non, CHVE n'est pas opium. Point de chimères ici. Mais une contemplation réelle, simplement. Évidente. Parfaite.