À l'arrivée de ce Polaris, TesseracT est probablement à l'heure la plus difficile de sa carrière. Après un premier EP détonnant ayant immédiatement mis les Anglais sous les feux de la rampe, au moment même où ce qui s'appelle désormais le djent venait de faire son big bang, le premier album One confirmait absolument tout le potentiel qu'on misait en eux. Deux ans plus tard, après un changement de frontman négocié d'une main de maître, TesseracT livrait son second long effort, Altered State, lui permettant aussitôt de se détacher de toute la masse de clones arrivés sur le marché entre temps.
Confirmer sa position de leader, redémontrer son génie créatif, affirmer son identité sonore unique au travers d'un album encore plus abouti, intègre sur ses acquis mais novateur sur plein de nouveaux plans, Altered State montrait en outre une facette du groupe plus atmosphérique et éthérée, plus personnelle aussi et définitivement hypnotisante. On se demandait comment le groupe pourrait faire encore mieux, quand un nouvel événement imprévu se produisit avec la démission prématurée de son tout nouveau et fascinant frontman. Le groupe s'est finalement vu intelligemment négocier le remplacement de sa jeune vedette Ashe O'Hara, réussissant à remettre aussitôt la main sur son ancien chanteu,r Daniel Tompkins, qui commençait à un peu tourner en rond du côté de Skyharbor. Avec Daniel de retour dans l'équipe, Polaris était attendu comme marqueur du futur.
"Dystopia" entame les hostilités avec un son bien particulier qui restera identique sur le reste de la galette. Ce qui choque avant tout, c'est bien cette basse, encore davantage mise en avant que sur les précédents albums. Diablement groovy, limite boomy, elle joue à cache cache sur fond de polyrythmies bien senties avec la caisse claire, elle aussi asséchée et rehaussée dans le mix. Le ton est donné : la section rythmique sera à l'honneur sur tout l'album. Voilà qui ravira tous les dingos de rythmiques déstructurées et qui avaient pesté sur la performance larmoyante diront-ils de Ashe derrière le micro sur le précédent opus. Quant à ceux qui avaient adoré "Nocture" ou "Singularity", ils se retrouveront comblés sur "Messenger". Mais ne nous leurrons point, les mélodies sont bien toujours partie prenante de la musique des Anglais, les gimmicks éthérées de guitare sont évoqués de-ci, de-là.
Et de fait, le chant lui-même se retrouve mixé plus bas, davantage relégué au rang d'accompagnement que de moteur de la musique, comme on avait pu s'y habituer par le passé (quel dommage de ne pas avoir mieux exploité les lignes de "Seven Names", point d'orgue de la galette, ou le cri à donner des frissons de "Messenger"). Paradoxalement, on trouvera sur Polaris les refrains les plus « catchy » composés par le groupe, tels le très bon single "Survival" rappelant bien plus un Periphery ou un Monuments d'ailleurs qu'un TesseracT ! Dans le même genre, "Phoenix" surprendra même drôlement avec son introduction pop assez décalée ! Exit le format des longues compositions avec des subdivisions originales, le quintet opte pour un choix de chansons calibrées de cinq minutes. Un pari à double tranchant. Certains titres semblent avoir été artificiellement allongés pour l'occasion ("Tourniquet" et son absence de structure), tandis que d'autres se finissent en queue de boudin après une longue et savoureuse mise en bouche ("Cages", voire "Utopia").
Un parallèle surprenant se dévoile au fil des écoutes. Assymmetry de Karnivool. Il est d'abord amusant, puis très troublant de constater que de la même façon que sur le dernier opus des Australiens, la mayonnaise monte à divers sommets, comme sur le refrain de "Hexes", l'intro de "Tourniquet", le pont sublime de "Utopia", mais à chaque fois de façon bien trop brève, mesurée et dans le iota de folie et d'intensité, le « je-ne-sais-quoi » supplémentaire qu'on aurait attendu en plus. Comme Karnivool jouait à venir caresser par coups de pinceau très fins nos souvenirs de Sound Awake sur Assymmerty, les passages précédemment cités de Polaris viennent titiller dans notre mémoire d'anciens repères aujourd’hui effacés, essentiellement à aller chercher du côté d'Altered State. Comme Assymmerty, on regrettera un goût d'inachevé, de composition un tantinet bancal ("Utopia", voire "Messenger"), ou du moins qu'on aurait imaginé différemment, plus ceci ou plus cela. Et surtout un ensemble qui sonne bien souvent peu cohérent, la cohabitation originelle de syncopes martiales et développements progressifs semble ici avoir du mal à fusionner aussi bien que par le passé.
D'une bien cruelle manière, et malgré tout le génie de cet album, on ne retiendra au final qu'une frustration. La frustration que TesseracT n'ait pas sorti son meilleur album, au contraire son plus faible à ce jour et pourtant si bon et à des années lumières de la masse ! Impossible de se venger sur la notation, l'album mérite de se retrouver dans le haut du panier et preuve en est, le groupe abat la concurrence à plat de couture sur ne nombreux points. Un coup de foudre ne se produit qu'une fois, c'est malheureusement aussi vrai en musique.