Ah tiens ! Cela faisait longtemps que je n'avais pas écouté un bon album à thème digne de ce nom ! Le genre de son qui, le temps de traverser les deux tympans, s'introduit directement dans le cerveau pour le pervertir au plus haut point, jusqu'à ce que corps et esprit ne fassent plus qu'un. Vous transportant exactement là où le désire le groupe, telle une barque voguant sur les flots une nuit de tempête. Si ceux qui s'aventurent sur ce terrain abrupt sont souvent engloutis dans le maelstrom de l'ennui, les gars dont nous parlerons aujourd'hui ont su tirer leur épingle du jeu et éviter cet aspect fâcheux. Comment l'ont ils fait ? Des sons pachydermiques et un chant de goret pardi ! Comme quoi, tout n'est pas complexe dans ce monde de brutes.
Cytotoxin est un quator originaire d'Allemagne, formé en 2010 et qui, avouons-le, a l'air de chérir tout ce qui est relié de près ou de loin aux catastrophes nucléaires. Il a d'ailleurs sorti un LP de qualité en 2011 (Plutonium Heaven), le temps de tâter le terrain, pour ensuite pondre le bijou dont il sera sujet aujourd'hui, Radiophobia. Alors oui, les adorateurs du sieur Ziltoid et d'un certain disque de Mastodon ont de quoi s'indigner : la recherche et la profondeur du background ne jouent pas dans la même cour que les deux chefs d'œuvres cités, car soyons d'accord, le disque ne réclame pas le titre de « concept album », terme souvent utilisé à tort et à travers pour des galettes n'ayant aucune cohérence scénaristique, mais là où excelle Cytotoxin, c'est justement dans l'instant présent. L'écoute de Radiophobia assure une téléportation immédiate au cœur d'un réacteur nucléaire en pleine explosion, ou encore dans les recoins les plus sombres d'égouts infectés de cancrelats mutants.
Le premier titre, "Survival Matrix", est d'ailleurs une parfaite représentation de cette fameuse téléportation : quelques nanosecondes, le temps que le chanteur prenne une profonde inspiration, et la machine est lancée, la catalepsie entraînée par les blast-beats et sweeps qui s'enchaînent sans concession nous pousse même à oublier que par-dessus cet agglomérat de brutalité délicieuse, un monstre est en train de chanter ! Car oui Messieurs, Grimo maîtrise tous les registres vocaux du death à tendance brutale, voire du grindcore. Son chant est donc parfaitement transposé à tous les passages proposés sur le disque, growl brutal, pig squeal, et chant goregrind dégoutants de maîtrise se succèdent pour notre plus grand plaisir. Le titre "Frontier Of Perception" réunit d'ailleurs toutes ces formes de chant en trois bonnes minutes de pur bonheur.
Nourri donc par cette diversité vocale efficacement sollicitée, enrichi d’un copieux death metal abreuvant tout ce qui touche de près ou de loin au genre comme influences, et servi par des envies tangibles de proposer une musique unique, cet album propose un melting-pot de brutalité, de technique et de mélodies qui constituera une référence dans le genre. Les deux aspects qui ressortent le plus demeurent la brutalité et la technique, portes étendards du groupe. Le guitariste nous propose des shreds d'anthologie tout en veillant à ne pas tomber dans une vulgaire démonstration sans âme, écoutez les premières secondes de "Abysm Nucleus" pour vous en convaincre. Dire que le même groupe nous balançait du breakdown et du chant porcin il y a juste quelques minutes relèverait de l'hérésie pure et simple! Ce morceau est d'ailleurs une vitrine on ne peut plus représentative du talent des allemands : tout y est, la technique hors norme du guitariste, les blast-beats balancés à la vitesse de la lumière par le batteur, ainsi qu'un sens inné pour la composition et les mélodies.
Toujours pas convaincus ? Vous n'avez qu'à lancer "Heirs Of Downfall", véritable hymne à la brutalité. L'alternance riff/shred, ainsi que les transitions entre les différentes séquences qui composent le morceau sont savoureux, la double basse qu'on entend quelque part avant la moitié est d'ailleurs d'une vitesse impressionnante, qui contraste parfaitement avec la fin du morceau, une sorte de beatdown sorti tout droit des plus sombres compositions de slam. Notons que Cytotoxin n'a pas oublié pour autant de soigner son atmosphère, car à mi-chemin de notre périple de trente sept minutes de marche au milieu des décombres, les allemands nous proposent "Dead Zone Walktrough", histoire de bien nous mettre dans une boue apocalyptique où nous étions déjà bien enfoncés. Les paroles des différents morceaux s'occupent de faire disparaître ce qui subsiste encore. On y apprend le récit de soldats envoyés dans la zone qui, vous l'aurez deviné, ne s'en sortent pas de la meilleure des manières, un certain passage sur l'avant dernier morceau "Abysm Nucleus" pourra vous le confirmer : « Atom for peace, Rest in dust », Amen.
L'autre aspect énorme du disque est l'arrangement des morceaux et l'ordre choisi par les artistes, car si les quatre premiers nous sont balancés dans la face sans faire trop de quartiers, les quatre qui suivent l'interlude ont plutôt une progression linéaire descendante, autrement dit, le groupe impose un rythme qui converge vers le mélodique, qui va atteindre son plus haut point sur "Abysm Nucleus" où le quator ose même un passage où s'enchainent guitares et trompettes, reprenant le riff principal du titre. Enfin, l'album est clos sur "Prypjat", une ode à la tranquillité et à la dévastation, un hymne du no man's land en quelque sorte. On ne ressort de cet album que le visage en décomposition, traînant notre carcasse sans vie, laissant derrière nous un amas de ruines et de dévastation, et avec une seule envie, réécouter ce gueulement du début et nous y laisser entraîner encore une fois, une dernière fois.
Porté par une composition homogène et cohérente qui fait coexister dans la même coulée auditive une foule d’images apocalyptiques, de paysages dantesques et de pensées sinistres, Radiophobia donne une bonne leçon à certaines formations de death metal actuelles, en proposant une eurythmie parfaite entre brutalité, technique et mélodie, tout en veillant à déployer une atmosphère asphyxiante. Les seuls éléments qui peuvent rebuter étant la surabondance d'éléments deathcore tels que les mosh-parts, ainsi que l'utilisation outrée de pig squeals. Ces deux points d'ombre mis à part, nous avons devant nous l'un des touts meilleurs disques de 2012. L'avenir du groupe étant compromis à cause d'une maladie contractée par le guitariste, on ne peut qu'espérer son prompt rétablissement et un retour fracassant des allemands.