L'Arabie Saoudite. Un pays dans lequel il ne fait pas bon vivre... étant musicien. Encore moins de metal. Encore moins de black metal. Et a fortiori, encore moins de black metal « anti-musulman ». Vous pensiez que le style le plus extrême s'évertuait à critiquer et vociférer à l'encontre des chrétiens uniquement ? Les temps ont changé et grâce à la mondialisation, cette musique est arrivée aux confins du monde musulman. Alors pourquoi ne s'y mettraient-ils pas également ?
Laissons un peu de côté l'originalité, et évoquons comme il se doit, le contexte dans lequel le groupe tente/arrive à composer. Vous n'êtes bien évidemment pas sans savoir que l'Arabie Saoudite n'est pas reconnue comme étant l'un des pays les plus tolérants du monde, un peu comme la Corée du Nord. Formé à Khobar en 2008, Al-Namrood n'a pas perdu son temps et a sorti avant cette galette, pas moins de deux EPs et trois albums en cinq ans, dont le dernier en date de 2012, Kitab Al Awthan, avait reçu un accueil plutôt positif. Souvent associé à un groupe de black metal anti-musulman dans la lignée des Irakiens de Seeds Of Iblis et de False Allah du Bahreïn, Al-Namrood se situe plutôt dans une idéologie païenne, similaire à la première vague de black metal européenne, et non à la seconde, clairement et ouvertement anti-chrétienne. D'ailleurs le nom du groupe vient du nom du roi et héros babylonien Nimrod, qui aurait osé défier Allah et affirmé « Je suis le Dieu de toute création ». Par la suite, « Al Nimrood » aurait pris la signification de « non-croyant ». La formation saoudienne s'attelle donc à raconter l'histoire des anciens peuples arabes avant l'arrivée de l'Islam. Tout cela en ancien arabe. Mais bonn sérieusement, qui comprend quoi que ça soit à un chanteur de black metal, même français ?
Alors comment mettre ça en oeuvre d'une manière originale, surtout dans un style aussi violent ? A la manière du groupe israélien Melechesh, les dissidents vont incorporer des instruments du folklore arabe dans leur composition. Ici présents, vous aurez le droit, grâce à Ostron, à une bonne dose de oud, sorte de luth oriental dépourvu de frettes ("Bat Al Tha Ar Nar Muheja"), ainsi qu'à du qanûnn, instrument à cordes appartenant à la famille des cithares sur table. Sont aussi intégrées des percussions, comme sur le début de "Heen Yadhar Al Ghasq", qui rendent l'écoute plus agréable et plus humaine que cet horrible sampler servant de batterie, que même le gorupe The Berzerker aurait refusé. Cette petite touche orientale, bien appuyée par la voix à la tonalité incantatoire, apporte un côté occulte et « frais », qui vient bien contraster avec le côté assez hostile de l'atmosphère dégagée par le groupe. Cela montre aussi la volonté de ce dernier de faire resurgir leur origine lointaine et met également en valeur ce côté païen. Tout comme les paroles. Le trio a instauré la règle du « un album, un concept ». Si dans Kitab Al Awthan, il était question du Livre du Polythéisme, ici ce sont l'insurrection et la rage qui sont mises en avant. Aucune message politique n'est donc exprimé explicitement au travers de leur musique.
Mais ces nombreux grains de sable ne peuvent cacher l'immense désert d'Arabie. Abordons désormais la production. Certes, le black metal est un genre réputé pour la qualité « volontairement médiocre » de ses compositions. Cela participe à l'authenticité du son et du ressenti que l'on a à l'écoute de ce style, et il est évident qu'une production ultra nette, comme le fait si bien le « modern metal », ne pourrait convenir à un tel genre. Toutefois, il y a des limites à cette médiocrité. Ici, on a l'impression que tous les instruments ont été mixés séparement, du moins divisés en trois pistes différentes : la « batterie », les instruments classiques, et les instruments orientaux. Et la superpositions de tout ça donne trente-neuf minutes de son. Assurément, l'enregistrement est « fait maison », car les membres ne peuvent passer par un studio d'enregistrement digne de ce nom, et ce côté archaïque leur correspond bien. Mais en comparaison de leur dernier disque, qui n'était déjà pas d'une excellente facture, il y a eu une grosse perte de qualité. Pourtant, ils appartiennent au label canadien Sheytan Productions, qui a aussi assuré la sortie de deux vinyls d'un autre groupe de black oriental bien connu des amateurs : les Kirghizes de Darkestrah. C'est donc un énorme point noir de l'album.
Malgré tout, on en voudra difficilement à Al-Namrood, tant leur contexte politico-religieux est compliqué à gérer. Et le fait d'avoir pu sortir quatre albums relève déjà de l'exploit dans ce régime théocratique. Faut-il alors récompenser l'artiste pour le fond ou la forme . Pour le fond, on ne peut qu'applaudir, les encourager à continuer, les soutenir et leur mettre la moyenne. Et puis la forme n'est pas horrible non plus, mais elle ne peut que s'améliorer. En espérant qu'on entendre parler d'eux, et pas pour une mauvaise nouvelle.