Winter : Salut, peux-tu faire une petite présentation du groupe pour ceux qui ne vous connaissent pas ?
Gredin : Hypno5e existe depuis 2003. Nous avons commencé à Montpellier. Actuellement le groupe est composé de Manu à la guitare et au chant, Thibaut le batteur qui s’occupe aussi de l’électronique, moi qui suis bassiste et Jonathan aux guitares.
Winter : Quand on écoute votre album, on a l’impression que vous êtes fans de Neurosis. Est-ce que l'idée du mélange entre musique moderne et fond sonore plus ancien vous est venue en écoutant la chanson "Lost" où l’on entend du Charles Trénet ?
Gredin : Pas du tout, moi-même je ne connais qu’une seule chanson de Neurosis et je ne me rappelle même plus comment elle s’appelle… Nous essayons justement de se débarrasser de toute influence, pour offrir quelque chose de nouveau. Nous avons organisé pas mal de concerts à Montpellier et nous en avons eu marre d’entendre toujours la même musique, des groupes qui faisaient toujours la même chose, sous des noms différents, mais toujours la même chose quand même. Nous nous sommes donc dit que nous n’allions pas copier quoi que ce soit, mais que nous allions faire quelque chose de neuf. Nous avions également envie de faire quelque chose autour de la vidéo et d'intégrer celle-ci dans nos prestations live.
Winter : Est-ce quelque chose de facile que d’intégrer la vidéo, les passages parlés, sur scène ?
Gredin : Au début, c’était compliqué, car nous faisions ça avec un sampler que le batteur envoyait en même temps qu’il jouait, mais petit à petit, nous avons trouvé des techniques pour que ça se passe mieux, que ce soit plus carré. Maintenant que nous sommes habitués, ça va tout seul.
Winter : Quel âge ont les membres d’Hypno5e ?
Gredin : Je suis le plus vieux, j’ai 32 ans.
Winter : Je te demande ça parce que j’aimerais comprendre votre attirance pour les vieux films et les classiques littéraires. On retrouve sur le dernier album Cocteau, Brecht, Camus, etc. Avez-vous rêvé d’être prof de lettres dans une autre vie ?
Gredin : En fait, Manu est un gros fan de cinéma. Il adore les vieux films, et notamment la nouvelle vague, et pour répondre à ta question, son père est prof de philo.
Winter : Ah, voilà… Toutes ces références cinématographiques et littéraires me renvoient directement à mes années de collège et du coup, j’aimerais bien savoir si vous comptez beaucoup de gens de mon âge parmi vos fans…
Gredin : Tu es de quelle génération ? Celle de Motörhead ?
Winter : Eh, déconne pas non plus ! Non, plutôt Metallica.
Gredin : En général les gens de cette génération s’intéressent plus au rock, au garage ou même au thrash plus qu’au metal que nous pratiquons. Ils ne sont pas attirés par le metalcore, par exemple. Du coup, on ne voit pas beaucoup de gens de ta génération dans nos concerts, mais par contre, quand on leur fait écouter, là ils accrochent. Ca leur parle.
Winter : En parlant de metalcore, en général les groupes de ce genre ont une attitude « humble », abordent des sujets terre-à-terre… Au sein du metalcore, votre démarche est assez atypique. Vous a-t-on déjà taxé de prétentieux, de snobs ?
Gredin : On nous a dit que nous étions du métal intellectuel. Mais je l’ai bien pris (rires). Tout ce qu’on veut en fait, c’est donner un début d’interprétation à ce que nous faisons, pour justement que ce ne soit pas trop terre-à-terre, pour aller ailleurs.
Winter : Vous aimez les textes et le cinéma classiques. Appréciez-vous également la musique classique ?
Gredin : Tout à fait. Manu est très fan de la musique romantique, de compositeurs comme Chopin, Liszt, Schubert, etc. Moi je suis plus musique contemporaine : Xénakis, Steve Reich, l’école d’Autriche,…
Winter : Comment choisissez-vous ces textes ? Pensez-vous changer de types de texte dans le futur ?
Gredin : Nous faisons tous des propositions et nous voyons ce qui colle le mieux au morceau. Chacun vit sa vie culturelle de son côté et quand quelque chose nous plait, nous le proposons au groupe. Pour le futur, cela dépendra donc de ce qui nous plaira.
Winter : Concernant les paroles, vous n’aviez pas envie de tout chanter en français ?
Gredin : Pour que ce soit en français, il faut vraiment que les paroles soient bonnes. C’est pour ça que les seules paroles en français ne sont pas de nous (rires). Je crois que nous n’avons pas encore la carrure pour faire de la chanson française.
Winter : Cette humilité vous honore. Mais est-ce que vous aimeriez y arriver un jour ?
Gredin : Chanter en anglais, en même temps cela décomplexe. Cela permet de jouer avec les sonorités. En français on pourrait le faire, mais il faudrait qu’il y ait du sens derrière, nous ne nous sentirions pas de chanter n’importe quoi.
Winter : C’est vrai que quand tu comprends les paroles, des fois, cela fait mal...
Gredin : C’est ça ! (rires)
Winter : Sinon, pourrais-tu m’expliquer les paroles un peu mystérieuses des trois parties de "Gehenne" ? Vous y parlez de la Bolivie et écouter ça au milieu de l’album m’a interloqué…
Gredin : Es-tu déjà allé en Bolivie ?
Winter : Non, jamais.
Gredin : Je te le conseille. C’est plein d’espaces vides, il y a peu de population, c’est sec, aride même et c’est tellement haut que tu en as le souffle coupé.
Winter : Cela explique le « No queda más aire » de la chanson (« Il n’y a plus d’air » en français). Je commence à comprendre…
Gredin : Oui. Du coup l’ambiance y est vraiment spéciale. En plus ce n’est pas touristique, donc tu n’entends pas parler anglais, c’est cool (rires). Nous avions donc envie d’évoquer ces images là.
Winter : Seriez-vous tentés par une bande originale de film ?
Gredin : Oui, tout à fait. C’est vraiment notre démarche : allier musique et vision.
Winter : Peut-on parler de concept-album pour Acid Mist Tomorrow ? Y-a-t-il un fil conducteur ?
Gredin : Oui. Tout l’album se base sur le dialogue avec la mort, sur le fait qu’un personnage se retrouve face à elle. Il y a une sorte de réflexion sur le passage, le passage d’un état d’extase à un état néant.
Winter : Etes-vous tous athées ? Voyez-vous la mort comme le néant absolu ?
Gredin : Cette question, nous n’y répondons pas.
Winter : Vous essayez de ne pas refaire ce qui a été fait, mais vous écoutez tout de même un peu de musique… Quelques groupes qui t’aient marqué ?
Gredin : Récemment, j’ai découvert toute la scène de San Diego, où le label Three One G produit plein de supers groupes comme The Locust, Holy Molar, Some Girls,…
Winter : Je ne connais rien de cette scène. Tu peux nous en dire plus ?
Gredin : C’est une musique très violente, dans laquelle tu retrouves du rock, du grind, du metal, du punk, du synthé également, des sons de malade … il y a un peu de tout en fait, c’est un gros mic-mac. J’ai vu Retox en concert à Montpellier en janvier et c’est l’un des deux meilleurs concerts auxquels j'ai eu la chance d'assister.
Winter : Votre musique est remplie de mélodies qui pourraient séduire un plus vaste public, mais les vocaux typiquement metalcore refroidissent la majorité des gens. Seriez-vous prêt à enlever ou diminuer l’importance de ces vocaux pour toucher un public plus large ?
Gredin : En fait, nous avons un groupe accoustique, qui s’appelle A Backward Glance On A Travel Road. Ce n’est que de l’accoustique, il n’y a rien d’électronique. Ce sont les mêmes membres qu’Hypno5e et nous tournons dans différentes scènes avec ce groupe. C’est plus calme, évidemment, il y a une énergie, mais ce n’est pas celle du métal, c’en est une autre. Une énergie noire, je dirais.
Winter : Votre musique est de tout façon assez sombre, avec un petit côté « sans espoir »… Est-ce comme ça que vous voyez vraiment les choses ou pensez-vous qu’il y a tout de même de l’espoir ?
Gredin : Non, il n’y a pas d’espoir. Nous faisons une musique qui exprime notre insatisfaction quant au monde qui nous entoure. Nous ne sommes pas conservateurs dans l’âme. Mais toute révolution est impossible, ne serait-ce que par le nombre que nous sommes et les différentes mentalités existantes. Du coup, il n’y a pas de solutions.
Winter : Cette vision se traduit-elle par un consensus politique dans le groupe ?
Gredin : Non, nous avons quand même des visions assez différentes politiquement parlant.
Winter : Revenons un instant sur la musique acoustique. Connais-tu un groupe canadien qui s’appelle Godspeed You! Black Emperor ? Certains de vos passages m’y ont fait penser.
Gredin : Oui, c’est d’ailleurs dans cette lignée là que nous avons placé notre groupe acoustique. Et sinon, la grosse différence entre Acid Mist Tomorrow et l’album précédent, c’est le fait que nous ayons écouté entre temps GSY!BE et A Silver Mt. Zion (groupe « cousin » de GSY!BE), ce qui nous a décomplexé sur le fait d’écrire de longs morceaux.
Winter : Sinon, concernant les tournées, où jouez-vous ? Comment cela se passe-t-il pour un groupe de votre calibre, avec une certaine notoriété sans être encore un grand nom ?
Gredin : Là nous en sommes à notre troisième tournée américaine. Nous sommes allés en Australie aussi. En Europe, nous tournons également mais c’est plus dur, parce qu’on ne peut pas jouer tous les jours, et du coup, c’est plus cher.
Winter : Pour finir, la question à la con : d’où vient le 5 de Hypno5e ? D’un amour particulier pour ce nombre ?
Gredin : En réalité, cela part de la chanson "H492053" de notre premier album, chanson véritablement basée sur les chiffres. Après, nous avons juste gardé le 5 pour Hypno5e et ça a fait d’une pierre deux coups : d’une part, cela évoque l’éveil technologique dans lequel nous vivons depuis les années 80, où tout s’informatise et où la technologie prend le dessus. On utilise des technologies qu’on ne maîtrise pas, et l’on met des base de données dans les ordinateurs des administrations, c’est assez dingue. D’autre part, si tu cherches Hypnose avec un « S », tu tomberas sur tout sauf notre groupe, cela sert donc également à faciliter les recherches sur le groupe.