Est-ce que musicalement, il y a des choses qui vous ont inspiré plus que d'autres, ou bien est-ce que c'est venu ex nihilo, ou bien y a-t-il des éléments musicaux qui sont venus enrichir cet album ?
Joe Duplantier : Je dirais qu'on a toujours les mêmes influences depuis le début. On est des fans de musique en général, on a des goûts assez différents dans le groupe, et en même temps ça se rejoint pas mal. Il y a Christian qui écoute du Jacques Brel, du Barbara, de la musique classique, il y a Jean-Michel qui est un gros fan de metal et qui est un connaisseur assez pointu là-dessus. Mario écoute pas mal de trucs expérimentaux, de la musique hindou. Je sais qu'on aime bien Depeche Mode, on aime bien Morbid Angel, Metallica, enfin il y a des influences très très variées. Je dirais que dans cet album il y a certaines influences un peu plus détectables que par le passé, je pense à des rythmes qui peuvent faire penser à Depeche Mode par exemple, à Björk aussi. Je pense qu'on aime tous Dead Can Dance… Il y a aussi dans cet album un côté plus «
catchy», plus efficace, parce qu'on a fait des tournées, notamment aux États-Unis, avec des groupes comme Machine Head. On a fait cinquante date avec eux, et tous les soirs on regardait le concert, donc forcément c'est une influence – tout ce qu'on vit est une influence. C'est vrai que de tourner avec des groupes hyper-efficaces, ça nous a forcé à constater que c'était plaisant. Dans cet album on retrouve un côté efficace, donc ça on peut dire que c'est une influences de groupes américains. On a fait une tournée avec Behemoth et Job For a Cowboy : on a tous adoré cette tournée, on est devenus fans de Behemoth, qu'on appréciait déjà avant, mais les voir en tournée a renforcé la chose. Au local, c'était facile de sortir des sonorités et de se dire «
mais ça sort d'où ça ? Ah ben oui, on a tourné avec Behemoth». On ne se rend pas toujours compte des influences, c'est un peu digéré. On vit des choses, et après ça ressort, on ne contrôle pas tout. Mais je sais qu'il y a un petit peu de Behemoth et de Machine Head sur cet album pour parler concrètement… Et après sur des plans un peu plus abstraits, par exemple on va dans un supermarché, une boîte de conserve qui tombe, ça fait un bruit, ça peut être intéressant. Ça peut arriver, des choses aussi abstraites que ça, ou même dans les éléments naturels. On essaye de rester assez ouverts. Pour le côté tribal, je sais qu'on avait besoin de bambou sur cet album, on adore le son du bambou. On répète à la lisière d'une grosse forêt où il y a plein de bambou, c'est facile d'aller en choper et d'en ramener au local. On s'est dit qu'on avait besoin de ce côté organique : ça fait du bien, c'est plaisant pour l'oreille. On fait une musique métallique, violente, mais à côté de ça on a besoin aussi d'accalmies pour contraster avec la tempête. Le bambou, c'est venu comme ça, on s'est dit «
l'album, on sent que ça va être violent et il y besoin d'un truc qui va nous calmer aussi», du coup on a mis des éléments de bambou. Mais on réfléchit pas trop : la base, c'est quand même la spontanéité, notre moteur, c'est ce dont on a envie, aujourd'hui, maintenant, avec Gojira.
 | Vous parliez du son à l'américaine qui caractérise le dernier album, mais est-ce que vous pensez qu'il y a un son «à la française», et est-ce que vous pensez incarner ce nouveau son français ?
Joe Duplantier : Déjà, ce serait hyper-prétentieux de dire ça : même si on le pensait, on ne le dirait pas. Je ne sais pas quoi répondre à ça. Est-ce qu'il y a un son à la française ?.. Pas vraiment, non…
Mario Duplantier : On ne peut pas parler concrètement de «son à la française», il y a plus une façon de composer à la française, il y a une identité musicale ici qui a son charme. Je ne pense pas qu'on soit «les» représentants, on est «un des» représentants d'un style, ou de quelque chose… Je ne sais pas si je réponds vraiment à la question…
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Si, mais vous faites preuve d'une grande humilité, et c'est tout à votre respect, mais quand on interviewe des groupes français, ils sont les premiers à dire que c'est vous les porte-drapeaux du metal français. Black Bomb A et tous les « petits groupes » qui ont des carrières presque plus longues que la vôtre sont les premiers à dire que oui, vous êtes là, vous êtes les leaders et en plus vous ouvrez des portes pour les autres. Vous vous en rendez compte ?
Mario Duplantier : Non mais c'est vrai que c'est chouette de sentir ça. On se sent portés justement par les groupes qui disent ça. C'est vraiment sur cet album qu'on sent ce que tu viens de dire, et moi personnellement j'en suis content. Mais en même temps, il y a des groupes français qui font de super albums avec un gros son, mais on n'entend pas forcément parler d'eux.
Joe Duplantier : Pour ce qui est du style à la française, déjà c'est un style qui est profondément anglo-saxon, voire US, qui a évolué en Angleterre puis qui a explosé aux États-Unis. C'est difficile de parler d'un «
metal français», je pense qu'il va encore falloir quelques années, que des groupes fassent parler d'eux à l'étranger pour qu'on commence vraiment à parler d'un style français. Il y a ne serait-ce que cinq-six ans, si tu parlais de la scène française metal à la presse anglaise ou allemande, je pense qu'ils se marraient bien… Il y quelques groupes qui ont fait parler d'eux, je note par exemple Treponem Pal, on nous en parle souvent aux États-Unis, on est d'ailleurs assez surpris, on leur dit : «
mais comment, vous ne connaissez pas Loudblast ?» Effectivement, il est en train de se passer quelque chose, il y a une «
conjoncture» qui fait que Gojira est au bon endroit au bon moment, entourés des bonnes personnes. Après on travaille comme des fous, on ne fait vraiment que ça : quand on bosse avec acharnement, qu'on essaye d'être intelligent par rapport à nos choix, je pense que ça paye forcément. Je trouve que la culture en France a certainement été traumatisée par la Seconde Guerre mondiale, on a quand même été les gros perdants de la deuxième guerre, et la culture en général s'est retrouvée un petit peu meurtrie pendant la génération de nos parents. Aujourd'hui les choses sont en train de se changer, on est en train de se remettre debout… Alors qu'en Angleterre, aux États-Unis, ils avaient le moral regonflé à bloc par la victoire : ils faisaient partie des Alliés, de ceux qui venaient nous sauver. Ils ont pu développer des groupes qui sont devenus cultes aujourd'hui pendant que nous on trimait à reconstruire nos villes. Je pense que ça rentre vraiment en compte, l'histoire du pays. Brandir le drapeau français, c'est pris comme quelque chose d'un peu fasciste, alors qu'en Angleterre, aux États-Unis, on le brandit fièrement, il n'y a pas de problèmes, c'est fun, et on n'a pas ça vraiment en France. J'espère que ça va changer, je ne suis pas nationaliste, mais je pense que le moral de la culture française est en train de se remettre debout.
Vous parliez de l'agressivité de votre musique mais aussi de petites touches beaucoup plus calmes… Vous êtes le groupe de metal qui marche le mieux en France à l'heure actuelle,et pourtant vous faites un musique extrême, pas vraiment «mainstream». À votre avis, d'où est-ce que ça vient ?
Joe Duplantier : Je pense que c'est comme si on proposait un «package» : il y a un visuel, des paroles qui pour nous ont du sens, peut-être qu'on a un message fort… La musique est violente, mais la priorité c'est quand même le groove, le dynamisme : finalement les gens s'y retrouvent vite. Quand il y a une partie violente, on peut être quasiment sûr qu'on va vite contrecarrer derrière avec quelque chose qui va «poser». J'ai le sentiment que le groove reste la trame de notre musique. Après, il y a une grosse part de mystère : pourquoi on marche ? Pourquoi il y a un engouement autour du groupe ? Peut-être qu'il y a une espèce d'aura autour du groupe que même nous on ne maîtrise pas forcément… |  |
Pourquoi vous avez choisi "Vacuity" comme premier titre en écoute ?
Mario Duplantier : On n'est pas que quatre à prendre des décisions, il y beaucoup de gens qui bossent autour, il y a un label pour la France et l'Europe, un autre pour les États-Unis, on a un manager, des partenaires, un éditeur. Je ne sais plus par quel chemin on en est arrivés là, mais on a mis "Vacuity"…
Mario Duplantier : C'est un morceau qui représente la part un peu «
dark» de l'album, parce que le thème est un peu sombre. Il y a quelque chose d'assez évident dans l'écoute… c'est pas qu'on voulait mettre un titre évident, mais on voulait que l'écoute soit claire et que ça ne soit pas trop fourni en informations, que ça ne soit pas trop déroutant. C'est vrai qu'on le pense un petit peu comme ça quand on présente un premier morceau : on ne veut pas de suite mettre un morceau qui dure neuf minutes avec des surprises partout, ou alors un truc qui grinde du début jusqu'à la fin, on va choisir quelque chose qui peut donner rapidement une vision… Celui-là je trouve qu'il synthétise assez bien l'ambiance de l'album, mais comme tous les morceaux sont très différents, même pour nous ça a été un peu le bordel pour choisir un seul morceau.
Joe Duplantier : Après, on s'est demandés «
mais pourquoi on choisi celui-là ?» On est passés par plein de choix avant ça, et c'est vrai que c'était important finalement, c'était le premier morceau qu'on allait présenter. À la fin, ça s'est précipité un peu, on l'a lâché et puis voilà…
Mario Duplantier : Et pour moi, ce n'est pas forcément le «
titre fort» de l'album, et c'est ça que j'aime bien… Les gens peuvent se dire «
ouais mais c'est bizarre, il y a des longueurs, tout ça…» Finalement, peut-être que ça va faire rebondir l'album derrière : «
ah ouais putain ça peut aller vite aussi», moi j'aime bien jouer sur ça…
Transcription : Alexis KV