Nous venant droit du Val de Marne, Former Life propose une musique sur laquelle souffle, à n’en pas douter, le vent d’une inspiration venue d'outre-atlantique. On entend souvent dire que la scène metal française n’a pas de pêche, qu’elle n’est pas crédible dans cette veine où la suprématie américaine se fait écrasante. Bref, qu’elle voudrait bien mais qu’elle n’y arrive pas, qu’elle n’y croit pas vraiment. On peut trouver des choses à redire à Blank, mais il y a bien une chose qu’on ne peut pas leur enlever : leur musique, ils y croient.
Impossible d’en douter à partir du moment où l’on entend la première phrase chantée par Nell, leader et chanteuse de la formation. On est conquis d’emblée par la puissance, la rondeur et le timbre net de sa voix, malgré quelques notes où l’on sent un léger forçage (le refrain de "Rise the Sound", par exemple). Mais s’il n’y avait que la voix ! Les lignes de chant ne tombent pas dans la facilité, et sont la plupart du temps inspirées, ce qui compense le côté malheureusement convenu de certains textes. Car même si Nell croit en ce qu’elle chante, et qu’elle porte artistement ses textes, il faut admettre que ceux-ci sont bons sans être excellents. La faute à un manque de véritable recherche verbale, probablement. Les paroles de "Blank", toutefois, sortent clairement du lot : elles sont animées d’une réelle ligne directrice et d’une progression qui tient l’attention en éveil. Elles sont surtout soutenues par une musique qui, en accélérant le tempo sur le refrain, communiquent l’enthousiasme que portent les lyrics. Côté instru, il y a peu de choses à redire, et on est agréablement surpris par l’engagement et le professionnalisme des musiciens. La qualité du mix est également surprenante pour une autoproduction.
On tape ici dans ce que l’on pourrait appeler de l’« alternatif punk atmosphérique » : lignes de guitare en arpèges, souvent magnifiques, sur les couplets ("Sick and Crazy" en est le meilleur exemple) et une capacité à composer des mélodies qui touchent juste. Rien à dire sur la section rythmique, si ce n’est qu’elle est probablement faite en béton armé, dotée d’une très bonne régularité et d’une sacrée puissance. Ecoutez le refrain de "Remains of Humanity" pour vous en convaincre, peut-être le plus réussi de l’album à ce titre. Si vous aimez des groupes tels que Rise Against ou A Perfect Circle, vous n’aurez aucun mal à entrer dans Blank, et vous l’apprécierez sans aucun doute. L'album contient un certain nombre de passages marquants qui vous donneront envie d’y revenir : la ligne de guitare lead de "Lost in regrets" donne une bonne première impression, et sa fluidité et son « velouté » en charmeront plus d’un. Son refrain est également excellent, où la guitare créé un magnifique contrechant à la voix de Nell. Le solo de "Never fit the mold" fait très mal, d’une précision et d’une inventivité rythmique qui rappelle un certain Tom Morello…
De manière générale, on appréciera un vrai talent pour combiner des mélodies efficaces et qui vous emportent, une bonne puissance, et un engagement sincère dans les compos. Où sont les défauts alors, me direz-vous ? Ils sont tout d’abord à chercher du côté de la prononciation de l’anglais pour Nell : pas mauvaise sur le plan de l’articulation quoique parfois un peu précipitée (le couplet de "Remains of Humanity"), c’est surtout l’accentuation des mots qui est souvent malmenée pour coller au rythme de l’instru… Le problème étant que, souvent, ça ne colle pas. Il y a donc tout à gagner à ouvrir un dictionnaire pour s’assurer de la juste prononciation de mots comme « medicine » ou « revolution », et ce sont deux exemples parmi une foule d’autres. On pourra déplorer un relatif manque d’inventivité et de profondeur sur certains riffs, défauts qui vont peut-être de pair avec un manque de conviction dans leur exécution : par exemple, les tout premiers accords de "Lost in regrets", avant la magnifique ligne de gratte, font douter par leur manque d’entrain que ne compense pas son manque d’originalité. De même pour le refrain de "Never fit the mold".
Malgré ces défauts, on ne peut que saluer le fait que Former Life s’engage pleinement dans sa musique, ce qui est essentiel dans la veine dans laquelle ils exercent, et ça se ressent lors de l’écoute ! Blank est un bon album, et l’attention portée à la composition ne fait pas de doute. On est plongé des nappes guitaristiques d'une grande beauté, secoué par des refrains enlevés sans que la nuance soit en reste, même s'il y a encore à gagner dans la gestion juste des contrastes entre ces deux ingrédients essentiels. L’interlude placé avant les deux derniers titres est bienvenu, même si on se surprend à trouver des longueurs à un album composé de seulement huit titres. On y reviendra en tout cas avec plaisir les jours de grisaille, ceux où l’on a besoin d’une bonne dose d’énergie et de conviction, que Former Life nous offre sans peine.