Earth -
Primitive and Deadly
Le slow motion, c'est cette technique - cinématographique à la base - qui permet de vivre l'action au ralenti et en détail. Jusqu'aux extrêmes limites du temps, la technique permet également de décrire avec précision le jeu de Earth : LENT. Primitive and Deadly, nouvel album du groupe, ne casse pas ce code d'une lenteur auto-imposée. En revanche, il revient de manière surprenante vers des sonorités plus lourdes, et incorpore de nouveaux éléments, parmi lesquels des chants. Un album étonnant. Un album perturbant. Un album (un peu) décevant.
J'aime Earth. J'adore Earth. Je suis impressionné par Earth et par la philosophie de la lenteur qu'est celle adoptée par son leader, Dylan Carlson. A plusieurs reprises, trois pour être exact, j'ai vu le groupe en concert - l'un des rares à pouvoir me faire descendre dans la capitale aujourd'hui. Trois concerts, donc, soit tout de même 1440 kilomètres de déplacement et trois nuits passées à la capitale rien que pour Earth. Je vous épargne les frais engagés - indécents. Tout ça pour dire que j'ai vu le mur - mur sonore, mur des lamentations - se rapprocher, étape par étape. Première étape : l'extrait dévoilé en éclaireur, "From The Zodiacal Light", qui mettait en avant le retour du chant par l'intermédiaire de Rabia Shazeen Qazi. Chambardement ! Earth, groupe instrumental depuis vingt ans, se préparait à incorporer du chant sur cet album. Une révolution, suivie d'un vertige. Deuxième des étapes de cette déception annoncée : le dernier concert en date. Un live aride, parfois irritant, et globalement trop pauvre dans son expression. En se passant de toute extra-instrumentation (violoncelle, orgue hammond...) et en réduisant la formation à un trio guitare-basse-batterie, Earth a perdu de la rondeur et de la substance. Au pied du mur, craintif, il me fallait alors écouter Primitive and Deadly.
Primitive and Deadly. Earth retrouve des plumes en consolidant sa musique, qui retrouve du grain et de la saturation. Fait incontestable : cet album est assurément le plus costaud du groupe depuis belle lurette. "Torn by the Fox of the Crescent Moon" (Carlson semble s'être lâché sur les titres) renoue avec "Ouroboros Is Broken" version Hibernaculum. Le son est lourd, heavy, « post-drone ». L'ambiance est pesante. Seulement voilà, Primitive and Deadly manque de la finesse des disques précédents qui, avec le recul, étaient d'un calme plat et apaisant. Rien de grave. Mais on s'ennuie en contemplant cette force retrouvée, et ce malgré la densité évidente des pistes, qui débordent de détails, de crissements ou encore de solo (sic - "Even Hell Has Its Heroes"). Et l'on comprend mieux, a posteriori, l'impression de vide laissée par la dernière performance live du combo : l'album superpose les pistes de guitares tandis qu'une seule reste présente sur scène - en l'état, la formation live de Earth est ainsi vouée à l'échec. De bons moments, ici ou là, mais toujours cet ennui en toile de fond. Primitivement violent et mortellement creux ? Quand même pas. Mais voyez tout de même la larme couler.
Un son heavy retrouvé, des solos et... du chant. Primitive and Deadly se veut surprenant - c'est louable. Mais alors quoi ? Du chant ? Mieux : des chants. Rabia Shazeen Qazi, sur "From The Zodiacal Light", abat du bon boulot et porte la musique hypnotique du groupe vers des terres teintées de psychédélisme. Incongrue, mais pas hors-sujet, cette performance isolée est une réussite qu'on appréciera - d'autant que les riffs de fond sont inspirée et plutôt sous drogue, eux aussi. Plus problématique est la présence d'un personnage apparemment culte en la personne de Mike Lanegan. J'ignore qui est cet homme. Ce que je sais, c'est que sa performance me rappelle celle de Lou Reed sur le bien connu Lulu. Rien que ça. Une voix grave, psalmodiant ses textes avec l'interêt d'un raton-laveur pour un paquet de lessive, en décalage quasi-total avec le fond sonore - lourd, toujours. Juste assez pour, selon l'humeur, gâcher l'éventuelle ambiance que le groupe - désormais à l'arrière plan - s'évertue à créer. La seule piste échappant à ce traitement est "Even Hell Has Its Heros" - piste sur laquelle la guitare solo domine très largement. Ce morceau est précisément le meilleur du disque. Avec le morceau exclusif au vinyl (donc à télécharger, messieurs), "Badgers Bane" mélancolique et halluciné (un titre qui expérimente sévère avec ses longues plages ambienco-psychées). Quel gâchis.
De bonnes choses, certaines très bonnes, et toujours le plaisir de retrouver Earth, mais quel traitement ! Évoluer revient à prendre des risques : c'est chose faite sur Primitive and Deadly. L'incorporation de voix est une bonne idée en soi mais la sauce ne prend pas toujours. Le grain retrouvé ? Une belle volonté, là encore, mais qui semble se faire au détriment de la finesse des derniers opus - dont on perçoit la valeur maintenant qu'elle fait partie du passé. Reste un album qui s'écoute bien, mais qui ne fait pas vibrer autre chose que l'air ambiant. Vous savez, cette petite corde intérieure. Une déception - à la hauteur de mes attentes, je dois bien l'avouer, car dans l'absolu, Primitive and Deadly ne déshonore pas ses créateurs.