CHRONIQUE PAR ...
Merci foule fête
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
16/20
LINE UP
-Theodore Anthony "Ted" Nugent
(chant+guitare+basse sur 10)
-Charles "Charlie" Huhn
(chant+guitare)
-John "Soybean Slim" Sauter
(basse)
-David Hull
(basse sur 2, 5, 6 et 8)
-Clifford "Cliff" Davies
(batterie)
TRACKLIST
1) Need You Bad
2) One Woman
3) I Got The Feelin'
4) Tight Spot
5) Venom Soup
6) Smokescreen
7) Weekend Warriors
8) Cruisin'
9) Good Friends And A Bottle Of Wine
10) Name Your Poison
DISCOGRAPHIE
Parmi les recettes permettant de commettre un mauvais album, celle à base de melon est l'une des plus fameuses. Garantie à 99%. Prenez Ted Nugent, guitariste extravagant qui largue sa formation d'origine, The Amboy Dukes, pour aller en fonder une autre sous son propre nom. Trois LP et une tournée triomphale plus tard, l'ego de Teddy explose au point d'inciter ce dernier à virer les deux tiers de son « personnel ». Ajoutez-y des troubles d'ordre privé, une pincée de surmenage lié aux cadences infernales des concerts et des sorties de disques et vous obtenez tous les ingrédients pour faire de Weekend Warriors un ratage de première.
Il faut dire que Nugent n'y est pas allé de main morte. Alors que son Double Live Gonzo! paru en ce début d'année 1978 s'écoule par palettes et assoit définitivement son statut de guitar hero des deux côtés de l'Atlantique, voilà que le charismatique natif de Detroit décide de tout bazarder, à commencer par Derek St Holmes, son alter ego au micro et à la guitare qui avait sans doute le tort d'attirer un peu trop la lumière malgré les excentricités et le jeu de scène très physique du patron. St Holmes avait déjà quitté le navire juste avant l'enregistrement de Free-for-All en 1976 - cette fois l'éclipse sera de plus longue durée. Débarrassé de l'autre « star » de « son » groupe, Uncle Ted recrute Charlie Huhn après auditions. Originaire comme lui du Michigan mais sans références notables, Huhn semble tout-à-fait correspondre au profil (bas) attendu. Pourtant, son arrivée sera déterminante. En effet, outre sa contribution à la guitare rythmique suffisamment solide pour laisser Nugent s'exprimer pleinement à la Gibson, son chant recèle une intensité remarquablement contrôlée à défaut d'être virtuose, tout en demeurant dans le registre hard blues de son prédécesseur. Cette nouvelle donne se précise avec l'éjection du bassiste Rob Grange, lui aussi présent depuis les débuts et dont le jeu prégnant influait sur l'écriture et le son du collectif. L'arrivée conjointe autant que discrète de l'ex-Cactus John Sauter et David Hull, un pote de Joe Perry d'Aerosmith, ne laisse pourtant présager rien de bon sur la consistance du matériel à venir. Surtout avec une section rythmique réduite à un rôle quasi exclusif d'accompagnement - le batteur Cliff Davies s'est accroché au bastingage mais plus que jamais, il n'est qu'un simple moussaillon aux ordres du seul maître à bord après Dieu. Et comme les précédents enregistrements studios recelaient leur lot de moments dispensables, on se dit que le prochain ne risque pas de relever le niveau.
C'est là que le miracle se produit. Car Nugent a beau être un navrant cabochard, il n'est pas complètement idiot. Il se montre même d'une étonnante lucidité sur la qualité inégale de ses productions antérieures dont il aurait souhaité qu'elles fussent moins nombreuses, sa maison de disque avide d'exploiter le filon au plus vite n'étant pas de cet avis. Alors cette fois-ci, le succès aidant, il fera les choses à sa façon. Disposant de davantage de temps - plus d'un an depuis la précédente sortie studio (Cat Scratch Fever), quel luxe ! - The Nuge teinte son blues électrocuté de ses humeurs sombres du moment (un divorce qui se passe mal). Le son se fait plus âpre, les aigus basculent en larsen. Le contraste est assez net avec le rendu un peu mièvre des guitares sur les trois premiers efforts longue durée où prévalait une égalité de traitement avec le chant : entre feulements et stridences rageuses, la Gibson Byrdland du boss se taille désormais la part du lion. Loin de déséquilibrer l'édifice de dix étages exclusivement conçu par son habile possesseur, sa prépondérance renforce et structure l'ensemble grâce à des interventions toujours à propos. En effet, la virtuosité de Nugent ne se résume pas à la vitesse. Certes, ce chasseur invétéré sait dégainer rapidement. Mais plutôt que défourailler à tout va et gâcher ses munitions, il montre ici son talent à lâcher ses rafales au moment idéal après avoir su patienter dans l'affût. Ainsi, au lieu de se lancer dans des démonstrations solitaires qui dégradent le bloc thème/ chant au rang de simple alibi, Nugent fait de ses solos le principal moteur des compositions qui gagnent dès lors en cohésion : couplet et refrain font d'abord monter les chansons à ébullition puis terminent le boulot en maintenant la pression.
Entre ces deux séquences, une intervention ravageuse à la six-cordes porte les brûlots à incandescence, comme sur l'implacable et très tendu "Smokescreen". Si le propos reste toujours bluesy, une colère sourde irise certaines pistes - les véloces et énervés "Need you bad " et "I got the Feelin'" en tête qui figurent respectivement sur les faces A et B du seul single tiré du recueil. Mais aussi sur "Venom Soup", monstre malade qui ne respire pas l'amour de son prochain (ou plutôt de sa prochaine). À distance du hit "Stranglehold" et ses solos en enfilade, le morceau se caractérise par une ambiance pesante, lacérée par une déferlante de fureur métallique répétée et amplifié sur une seconde moitié qui laisse à genoux. Et si quelques passages paraissent de prime abord plus accommodants, ils sont eux aussi dynamités par ces chorus intenses qui font remonter la tension : "Weekend Warriors", Cruisin'" et "Good Friends And A Bottle Of Wine" (cet intitulé...) ont beau proposer d'aimables refrains radio friendly, le propos général reste direct et menaçant, tel le boxeur ayant le match en main qui s'amuse un round ou deux avec son sparring partner avant de lui faire sauter le dentier. Enfin avec "Name your Poison", qui flirte avec le heavy metal - le riff il est vrai assez basique sera d'ailleurs recyclé par Judas Priest sur "Riding on the Wind" (1982) – le constat d'un raffermissement général du discours trouve sa conclusion adéquate.
Bien loin de la catastrophe redoutée, Weekend Warriors révèle la capacité de Ted Nugent à composer une œuvre de qualité de bout en bout. Ne se limitant plus aux envolées solitaires s'étirant sur quelques titres de bravoure, le guitar hero affiche davantage de maîtrise et aligne les chansons comme autant de barils de nitroglycérine prêts à sauter à la tronche des inconscients qui se fient à l'évidence des mélodies. Instrumentiste bien plus subtil que son image de redneck ne le laisse supposer, le Motor City Madman varie les ambiances, manie les contrastes et montre qu'il n'est pas seulement un incroyable showman. Hélas, cette réalisation ne changera guère la perception du public qui, à l'instar de Kiss, ne verra en Nugent qu'une bête de scène : rien d'infamant mais, en l'occurrence, c'est injustement réducteur.