« Donne-moi ça, ça fleure bon le funérarium ! » Oui, il y avait un manque manifeste d’élégance de la part de votre chroniqueuse lorsqu'elle a demandé cette promo à son pourvoyeur favori et elle s'en excuse platement ! D'autant qu'elle ignorait encore tout de l'histoire douloureuse de ce groupe. Légèreté blâmable ! Mais une chose est certaine : pour qui recherche une ambiance sombre, lugubre même, une musique qui écrase le plexus solaire par sa pesanteur et sa froideur, trouvera son bonheur (si l'on peut dire) à l’écoute de Razed to the Ground.
Les musiciens de Pinkish Black n’en sont pas à leur premier essai. Initialement au nombre de trois, Tommy Atkins à la basse, Jon Teague à la batterie et Daron Beck au chant et aux synthétiseurs, ils s’étaient réunis après la dissolution de leurs groupes respectifs (Yeti, Pointy Shoe Factory) pour former The Great Tyrant. Ils versaient alors déjà dans ce mélange de rock progressif, de doom-metal et de goth, créant un univers hypnotique et théâtral. Le tragique décès de Tommy Atkins, ce bassiste fou, ce génie, cette âme sensible (selon les termes de Daron Beck), aux allures de forestier menaçant (luttant depuis trop longtemps contre une dépression qui lui rongeait l'âme) et ce, avant même la libération d’une partie de leur œuvre, a donné une nouvelle impulsion à ses deux compères endeuillés. Le duo prend alors le nom de Pinkish Black, un nom qui avait déjà été révélé dans la pratique du groupe et qui sonne alors comme un hommage au défunt. Razed to the Ground, le second album de cette formation réduite à deux, ne ternit pas l'image du deuil et de l'éternel recommencement que le groupe porte en son sein.
Les deux artistes ont ainsi connu leur lot de constructions et de destructions de groupes, redémarrant chaque fois à zéro. Cet album se veut donc au contraire la marque de la continuité de The Great Tyrant, le refus catégorique de laisser les choses s’écrouler une fois encore. Une batterie, un synthétiseur analogique, un synthétiseur basse, un piano digital, ajouté à cela la réverbe et un clin d’œil récurant au synthétiseur Star Symar (avec de petits effets « laser »), un seul chanteur et pas de guitare donc, ni de nouvelle basse, voici la composition. Daron Beck reconnaît que cette configuration les pousse à écrire et à penser différemment la musique que dans une configuration plus traditionnelle. Mais aussi, lui-même ne joue pas au clavier comme s’il cherchait nécessairement à remplacer basse, guitare rythmique ou violon. Le son recherché est ailleurs. Et ce son se veut personnel. Le duo se surprend d'ailleurs à avoir des fans et déclare humblement faire naturellement la musique à laquelle ils aspirent, s'inspirant de trop nombreuses références pour être citées et vouloir simplement entendre les sonorités auxquelles ils sont accoutumés !
Quelques salves éthérées introduisent lentement le premier morceau, "She Left Him Red", puis s’élancent alors brutalement la batterie et les nappes froides, quasi dramatiques, de clavier. Le chant enfin, triste, désenchanté, fatal. Point de vue tout personnel, mais ces sonorités ne sont pas sans rappeler celles d’un autre batteur et chanteur un peu fou (même totalement), Christian Vander (Magma), qui est d’ailleurs l’un des modèles de voix de Daron Beck. L'impression générale est alors une envolée dans un univers pesant, oppressant, mais en même temps tout à fait saisissant. D'emblée, on a envie d'en savoir d'avantage, de plonger plus profondément dans cette noirceur fascinante. "Ashtray Eyes" nous offre de même une montée en volume progressive et nous plonge dans une ambiance cosmique froide. On hésite alors à qualifier ce son de tantra électronique, à écouter sous acides (quitte à se replonger dans un esprit 70’s) ou alors simplement de songe glauque moderne. Ambivalence ! Le morceau est lent, pesant, obsédant par ses redondances. Le chant est d’abord las, puis au fil de la progression, il devient de plus en plus poignant, pour finir terriblement affecté. Troublant !
La sensation quasi macabre qui se ressent dès le début du disque, s’accentue dans les épaisseurs du titre éponyme "Razed to the Ground" et éclate plus encore dans le lugubre solo de piano qui introduit "Bad Dreamer", morceau qui se prolonge de nappes poisseuses de synthé et d’un chant toujours aussi pénétrant … "Kites and Vulture" se distingue a priori des autres morceaux, par un ton d’emblée plus vif, mais plus menaçant aussi. La voix est d’abord lointaine, gutturale, inquiétante même. Le jeu de batterie est ici plus agressif, plus martelé. Mais dès lors que la voix se rapproche, elle est à nouveau désespérante et révèle une triste mélancolie qui n’est plus en soi inquiétante, mais simplement troublante. Le morceau qui commence en outre de façon assez brutale comparé aux deux premiers, s’achève au contraire lentement, progressivement, pour nous plonger plus encore dans une torpeur somnolente. "Loss of Feeling of Loss", tableau de 11 minutes (les autres pistes sont étonnamment courtes pour ce type de compositions expérimentales), clôt l’album, synthétisant à merveille la patte du groupe. Mais il n’est pas certain que ce final nous délivre de la sensation angoissante qui règne tout au long de cet album.
J’ai glissé Razed to the Ground dans mon autoradio et j’ai taillé la route sur des petits chemins de forêt. Le sort a voulu que ce jour-là, il fasse froid, brumeux et que le soleil lui-même, ne paraissait plus être qu’un simple disque blafard. En vérité, c’était une ambiance parfaite pour découvrir une première fois cet album atmosphérique et noir, cette délicieuse plage sonore qui semble appeler à se glisser dans une morne quiétude et à laisser ses pensées filer doucereusement ! Sans être l'album que l'on écoutera maintes et maintes fois, il est malgré tout curieusement plaisant de se perdre un instant dans la rêverie obscure qu'il dépeint !