Sahg -
Delusion of Grandeur
I, II, III … Les précédents opus avaient pris des airs de trilogie, mais auraient tout aussi bien pu constituer un fort agréable décompte ouvrant la voie à ce quatrième album : Delusion of Grandeur. Sahg a pris tout son temps pour murir son projet (3 ans) et travailler avec le plus grand soin l’articulation entre le thème choisi et la musique qui le sous-tend. Et cette musique, ne peut laisser que deux options : la complète indifférence ou l’avidité la plus complète ! Votre humble chroniqueuse admet avoir opté pour la seconde.
Sahg, revendiquant clairement ses influences (Led Zepplin, Black Sabbath, Deep Purple, Pentagram et … Kubrick !), distille un son riche et complexe, maniant savamment des ambiances atmosphériques ou violentes, des rythmiques toujours lourdes et noires, une mélancolie extrême, le tout dans un style qui lui est propre, juste à la frontière du stoner, du heavy et du doom, recréant parfois même ce sentiment étrange et désappointant que l’on éprouve à l’écoute des Floyds (impression toute subjective). Olav Iversen déclare par ailleurs que l’arrivée de Tony Veetas à la basse et au chant, a permis au groupe d’étendre ses capacités, de faire usage de toutes les harmonies et de toutes les épaisseurs souhaitées et lui a également offert l’occasion d’enrichir sa propre gamme vocale, pour notre plus grande jouissance. Le mixage des deux voix fait effectivement merveille et lorsque l’ensemble du groupe psalmodie, l’effet n’en est que plus grandiose. L’ensemble s’articule avec fluidité et cohérence, appuyant efficacement le thème servant d’ossature à l’album.
Et ce thème, c’est l’Homme. Rien de plus qu’une créature primitive, mue par ses pulsions et son instinct de survie, de la même façon que toute autre espèce? Mais à cette différence près que l’homme a pour lui la technologie ! Il s’enorgueillit de cet atout et cherche au-delà de toute raison à s’élever toujours plus haut, au-dessus de tout et de tous. Il aspire sans cesse à plus de pouvoir, jusqu’à vouloir atteindre l’absolu, l’ultime. L’homme est ainsi pétri d’illusions ! Sahg veut nous conter ici cette quête : celle d’un homme tout simple qui s’élève, jusqu’à devenir le maître absolu de l’Univers. Mais l’envers de la médaille est que cet univers n’est qu’une chimère, que cette conquête de puissance n’a de réalité que dans son esprit. Nous touchons ici à la folie, la folie des grandeurs ! Et l’issue de ce désir de pouvoir inatteignable est évidement fatale : la chute vers le néant.
Dès le premier morceau, "Slip off the Edge of the Universe", on se sent arrachés et entrainés dans cette folle aspiration. On se figure aisément cet homme qui regarde le ciel et se voit déjà maître de cet infini, animé par une froide détermination. Et comme image de cette ascension future, Sahg nous plonge dans une ambiance sidérale. Les premières sonorités redondantes de la longue introduction figurent alors le compte à rebours. Puis vient la combustion avec le premier riff principal et enfin, l’envol, avec la voix, claire et saisissante. La tension monte, on se sent emporté par ces tonalités atmosphériques dans une sorte de cosmos délirant. Cet instant fait place alors au jeu de deux guitares qui nous entraînent tour à tour dans un furieux tourbillon.
Sahg nous mène dès lors à la baguette. Le groupe parvient à insuffler une aura de puissance croissante tout au fil de l’album, mais également un sentiment de rage viscérale presque à chaque instant et qui trouve un parfait point d’orgue avec le furieux "Firechild", lequel nous est jeté au visage tel un charbon ardent dans un univers de glace. Des riffs saturés à l’extrême, un chant guttural et assassin sur les couplets, clair et passionné sur les refrains, un solo de guitare toujours plus violent ! L’effet est immédiat et empoignant ! Le lent martelage de "Walls of Delusion" semble illustrer l’obstination furibonde de notre homme assoiffé de grandeur, impression accentuée encore par cette voix qui susurre cruellement dans nos oreilles. "Blizzardborne", quant à lui, souffle un froid glacial et nous plonge dans la mélancolie : les voix sont tour à tour détachées ou implorantes, le solo d’abord plaintif devient ensuite virulent. Cette sensation se retrouve encore sur "Ether" où les deux voix, alors aériennes ou profondes, voire rageuses, se mêlent de riffs acérés pour délivrer une pure tourmente heavy.
Au fil de l’écoute, on observe que les redondances sont certes nombreuses, mais elles sont propres au style et loin d’entraîner la lassitude, elles se révèlent délicieusement obsédantes et contribuent à nous maintenir dans une sorte de torpeur mirifique. "Opium Délirium", unique morceau purement instrumental de l’album porte bien son nom : le rythme est ici bien plus effréné, illustrant l’esprit qui s’égare enfin totalement dans quelque chose d’irréel. L’envie nous prendrait de nous saisir la tête et de la secouer en tous sens, que ça n’aurait plus rien de surprenant. Le morceau nous prépare en fait à la chute, figurée par le titre final : "Sleeper’s Gate to the Galaxy", sublime et longue ballade de 11 minutes qui s’introduit par un jeu de guitare acoustique pour mieux nous envelopper enfin dans un jeu sombre, désillusionné et terriblement poignant, nous laissant dans un état de complète hébétude. Tout du moins, c'est ainsi que l'on peut le ressentir !
On ne le répètera jamais assez, la musique, délivrée même par le meilleur artiste du monde, ne révèle de véritable saveur que lorsqu’elle respire la passion. La musique de Sahg est riche, généreuse, pleine. Elle entraîne celui qui prend soin de l’écouter parfaitement dans un univers, certes, totalement désenchanté, mais dans lequel pourtant, il aura envie un instant de se complaire avec une fébrilité extatique, tant cette musique se révèle douloureusement / merveilleusement saisissante !