Un an après la fameuse année 68, le goût de la libération plane encore dans l’air. Certains disques, comme celui d’aujourd’hui, en deviendront de véritables manifestes. Blind Faith est un des premiers supergroupes, réunissant Clapton et Baker de Cream avec Winwood et Grech de Trafic. La pochette notamment, sera célèbre pour être une des premières à exposer de la nudité féminine, avec cette jeune fille dévêtue tenant, selon certains, un objet de nature phallique. Bref, tout un foin, qui vaudra à la formation, en sus de son line-up, un statut culte chez la plupart des amateurs de blues rock. Mais quid des compositions couchées sur le vinyle ?
Partant sur un air qui, une fois entendu, reste longtemps en tête, et tournera pendant bien six des huit minutes qui la composent, "Had To Cry Today" est sûrement ce qu’a composé de plus mémorable la formation. Le chant de Winwood touche les sommets, derrière les arpèges de Clapton, qui brillera un peu plus tard dans le morceau par des solos typiques de son jeu. Ce n'est pas pour rien qu’on le surnomme « God ». En bref, un excellent opener, qui va parfois presque tirer sur le psychédélisme, avant de revenir à des décharges de blues gonflées à l’overdrive. La suite, en revanche, est un peu moins réjouissante. Après un morceau aussi percutant que le précédent, normal qu’il soit aussi difficile de faire aussi fort. Les titres suivants sont plus courts, entre trois et cinq minutes, avant le quart d’heure final. "Can’t Find My Way Home" est une ballade plutôt agréable, portée par la voix, qui se fait ici doucereuse, mais pas mielleuse pour autant. L’influence blues laisse un peu la place au rock’n roll sur la fin.
"Well All Right" sera parsemé tout du long par un orgue Hammond et un piano, qui sonne plutôt cheap aujourd’hui. Heureusement, la basse fournit un travail assez merveilleux, qui ne laisse pas se perdre les deux claviers précités. "Presence Of The Lord" est aussi une ballade, sous forme d’apologie religieuse, encore truffée d’Hammond et de piano. Bien que cela sonne daté, le chant de Winwood, un des indéniables points forts du disque, permet de faire passer le tout, comme papa dans maman (qui étaient très jeunes à l’époque). La fin du titre est moins apaisée toutefois, avec Clapton qui dégaine sa pédale d’overdrive pour faire hurler de plaisir sa guitare sous l’action de ses doigts (hem…). "Sea Of Joy" commence ensuite, prenant encore ce faux air de calme, avant que Winwood, se prenant pour un chanteur de heavy, ne lance les hostilités, pour finir sur un violon, et lancer le pavé de fin.
Un quart d’heure en 1969, ce n’était pas forcément bon, et ça avait deux significations : soit on s’appelait King Crimson et ça voulait dire faire du prog sur le premier grand disque du genre, soit on portait un autre nom, et ça sentait la jam psychédélique à plein nez. Et en général, lesdites jam psychédéliques sont relativement peu accessibles pour le commun des mortels. Ici, le morceau part d’une façon plutôt classique, bien qu’assez perchée, avant que ne commence une série de solos pour tous les instruments. Oui, même ce bon vieux Hammond a ses deux minutes de gloire. Intéressantes pour les techniciens, ces parties solos n’ont rien de fou-fou. Enfin, elles démontrent la technique de chacun, et sont parfois passionnantes (celle de la basse, groove mortel, et la guitare, bien sûr), mais restent un peu lourdes une fois mises bout-à-bout. Heureusement que la fin rattrape le tout d’excellente façon.
Alors ? Statut culte mérité ou usurpé ? Un peu comme le De Mysteriis de Mayhem (l’art de caser des comparaisons douteuses, épisode 2645), Blind Faith doit surtout cela à son contexte : la renommée individuelle de ses membres et des groupes dont ils venaient, le scandale provoqué par la pochette originale, qui aide forcément, et le fait que ce disque préfigure les seventies et son psychédélisme bariolé. Pourtant, d’un point de vue musical, on a bien à faire à un disque carrément bon, puisqu’en dehors des trop longs solos du dernier morceau, l’ennui ne pointe jamais le bout de son nez.