CHRONIQUE PAR ...
Droom
Cette chronique a été mise en ligne le 01 juin 2021
Sa note :
17/20
LINE UP
- Jonathan "Marquis" Thery
(chant)
- Frederic Patte-Brasseur
(guitare)
- Sylvain Esteve
(guitare)
- Pierre Senecal
(batterie)
TRACKLIST
1) Procession of the Insane Ones
2) Face The Loss of your Sanity
3) Etats d'âme
4) Dread The Villains
5) Nausée
DISCOGRAPHIE
« Moins c'est mieux. » - A l'heure où les gens s'éparpillent de tous les cotés, à l'heure où le chroniqueur ne compte plus les sorties mais commence à les subir, à cette heure où chacun semble atteint de boulimie dans tous les domaines, il est agréable de trouver un coin tranquille et confortable dans lequel se reposer. Un mur auquel s'adosser. En ce qui me concerne, cette zone de confort est la musique. Et le dernier objet-repère musical s'étant invité dans ma demeure est un album de doom. Un album qui dure quatre-vingt minutes et qui tient sur deux disques. Bref, un objet qui n'est pas du genre facile à appréhender. Un mur.
Paradoxalement, c'est cette difficulté à maîtriser la chose qui rend celle-ci reposante. Les premières fois que l'on enclenche ce nouvel et troisième album des rouennais d'Ataraxie, il est inutile de chercher à être le plus fort, ce n'est pas possible. Le doom / death extrême joué par le groupe - qui peut prêter à confusion avec son voisin le funeral doom en raison du développement déraisonnable de pistes allant parfois jusqu'à côtoyer la demie-heure - aura nécessairement raison de l'auditeur. Et plutôt que de chercher à tout analyser, à tout classer, à tout noter, on se laisse dominer. Pas vraiment le choix. Et c'est agréable, finalement, de se laisser trimbaler par un gros costaud comme L'être et la nausée. D'autant plus qu'avec le recul et les écoutes, les forces s'équilibreront, vous verrez. Ou l'art de retrouver du plaisir à venir à bout d'une épreuve. Le défi : chose que la foultitude de sorties et les joies du papillonnage peuvent nous faire (et nous font effectivement) perdre de vue un peu trop facilement ces derniers temps.
En 2013, Ataraxie n'en est plus à son coup d'essai. Depuis Slow Transcending Agony (2007) (voire un peu avant si l'on compte The Other Path) jusqu'à aujourd'hui, le groupe normand a su se faire une place au sein de la scène doom hexagonale. Mieux encore : Ataraxie a créé ladite scène ou, en tout cas, en est devenu le représentant essentiel. Car Ataraxie joue du doom, du vrai, et peu importe finalement l'étiquette qu'on lui colle sur le dos. Sur L'être et la nausée (un titre charmant - d'inspiration Sartrienne), le tempo tombe parfois aussi bas que la température pavés du vieux Rouen en hiver. Le chant caverneux, ô combien grave, se fait tristement humain lorsqu'il clame sa détresse sur les quelques passages en Français dispersés ici où là qui se découvrent être les instants les plus poignants de notre affaire. Les guitares tranchent, lentement, inexorablement lorsqu'elle ne jouent pas quelques arpèges tristement limpides tandis que la batterie abat un jeu ingénieux malgré la lenteur. A l'écoute, Evoken vient à l'esprit plus que Saturnus. Le noir d'Ataraxie ne laisse aucune place au romantisme. Pas de violons, pas de claviers. Pas de demies-mesures.
Présenté ainsi, L'être et la nausée semble n'être qu'un album de doom extrême de plus : pas de quoi s'extasier. Mais erreur, ce n'est pas le cas. D'une car l'aspect extrême est justement et particulièrement creusé ici. Une constante chez le groupe. De deux car sur cet album, Ataraxie continue de faire évoluer ses propres codes. Le meilleur exemple ? Les blast-beats sont de la partie. « Comment ?! Des blast dans mon doom ? Une honte ! » se dit le puriste (qui a oublié avoir en face de lui une oeuvre de doom /... death !). Non, aucune honte ici car au contraire, l'idée est sacrément bien exploitée. Des titres tels que "Face The Loss Of Your Sanity" ou "Dread The Villains" mélangent à merveille la rouille du death et la profondeur du doom. Les variations de rythmes permettent de s'éclairer les unes les autres pour une mise en valeur réciproque. Les passages lents le semblent encore plus après un chambardement rythmique tandis que les moments les plus rentre-dedans ressortent davantage au milieu d'un océan de notes en suspensions.
L'être et la nausée possède tout ce qu'il faut pour prétendre au statut d'album culte en devenir : des compositions solides et travaillées qui s'écoutent avec plaisir malgré leur durée parfois titanesques ("Nausée", titre avoisinant la demie-heure, est carrément l'une des meilleures pièces doom qui j'ai pu entendre depuis un certain temps - à bon entendeur...), un chant maîtrisé et horriblement convaincant dans ses plaintes, un style personnel malgré les limites inhérentes au genre et j'en passe. Pas franchement conseillé pour faire ses premiers pas dans le genre, L'être et la nausée est une oeuvre forte qui pourra en revanche raviver la flamme chez ceux qui restent coincés sur leurs classiques.