Hideaki Ishii de son vrai nom, est d’origine japonaise et est né à Tokyo en 1962. Avant 1980, Hideaki ne s’intéresse pas franchement à la musique… le jeune homme connaît plutôt une adolescence mouvementée et difficile. En effet, il laissa rapidement les études de côté pour rejoindre la rue et tous ses déboires ! Peu fier de ce passé de contrevenant qui lui permettait néanmoins de subvenir à ses besoins, le futur DJ n’oubliera pas ces années relativement sombres dans la banlieue de Tokyo… Le déclic survient lors de la sortie du film américain Wild Style en 1984 et de sa projection au Japon à laquelle Hideaki a la chance d’assister. Au cours de cette production, l’ensemble de la culture hip-hop est décrite et révélée au grand public… (Enfin). A cet instant précis, la vie du jeune japonais va basculer : c’est LE tournant !
Dès lors rien ne sera plus pareil, si bien que très rapidement l’homme acquiert le matériel nécessaire à la conception ainsi qu’à l’élaboration de sa propre musique (platine, table de mixage, vinyles bien sûr et autre outils…), démontrant alors une bonne dose de volonté. Emerveillé par « l’esprit hip hop », Afrika Bambaataa, Grandmaster Flash influenceront très nettement ses « bricolages ». L’enfant de Tokyo aura beaucoup de difficultés, dans un premier temps, à se faire reconnaître au vu d’un style nouveau et particulier. Ainsi sa carrière débute au sein de petits groupes de danseurs ou il joue le rôle, non moins important, de DJ…
Quelques années passent, et le style Krush commence à marquer les esprits japonais vagabonds si bien qu’il crée son groupe : Krush Posse en 1987 ; malheureusement ce groupe s’éteint au bout de cinq années, le succès n’étant pas au rendez-vous et les japonais ne sont peut être pas prêts à accepter ce style musical atypique à cette période là. Cependant, le talent de Krush a fini par franchir les frontières et sa griffe touchera l’Europe, ainsi que le continent américain lors de son premier album… KRUSH… donc.
Le tag effectué sur la pochette de l’album est parfaitement retraduit sur "Am 3.00 Tag"… Seulement l’artiste semble dérangé par un coup de sifflet qui le stoppe net dans son action (il lâche la bombe de peinture !) et l’oblige à déguerpir au plus vite… D’entrée, Krush s’impose et nous rappelle que c’est bel et bien la culture hip-hop qui le fascine avec ce tag. Cette entrée en matière fait aussi sans doute référence (probabilité élevée) à une époque ou l’artiste évoluait au sein de gangs…
Ce qui frappe à la première écoute de l’album, c’est la présence sur la quasi-totalité de chaque track d’un fameux rythme hip-hop sobre, profond et teinté de noir... Certains y verront une répétition inintéressante, alors que d’autres seront surpris par les associations rock ou jazz possible avec celui-ci ! Ainsi nous retrouvons plusieurs plages où différents styles sont mélangés, superposés et samplés ; le résultat est étonnant et parfois assez rafraîchissant… cela ne serait-il pas sans rappeler la méthode d’un certain DJ Shadow ?? C’est fort possible…
Imaginez-vous que cet album est « arrivé » en 1994 au Japon…Comment celui-ci a-t-il été perçu ? Peu d’auditeurs japonais se sont accrochés à la production de ce petit nouveau qui n’a pas hésité à malaxer tout ce qui lui passait entre les mains. Des disques de Miles Davis, à ceux de James Brown que son père laissait tourner en boucle , DJ Krush s’est donc inspiré de jazz, voir de soul comme le témoignent les pistes "Keeping The Motion", "Roll & Tumble", « Big City Lover » ou bien "On The Dub-Ble". Cette dernière plage voit d’une part, le savoureux mélange de basses rythmées sur lesquelles se posent des évènements mélodiques trafiqués (= du Dub…) et d’autre part les apparitions temporaires de cuivres (saxo sans doute). Assurément l’un des morceaux les plus aboutis de l’album tant l’ambiance y est agréable, atmosphérique et parsemée de tristesse (ce qui n’enlève rien à sa beauté) !
"Keeping The Motion" ainsi que "Big City Lover" sont deux des trois pistes de l’album où nous retrouvons de véritables voix, féminines qui plus est, apportant cette touche d’espoir à un album qui en manque indéniablement. Les rythmiques sont bien évidemment hip-hop et la mélodie accrochante est accompagnée de petits sons jazzy (les cuivres apportant le petit plus…) qui peaufinent et assurent le succès total de la plage. De plus, l’insistance des voix sur les dernières syllabes de certains termes lorsque celles-ci s’élèvent dans les aigus, augmente nettement la force, la puissance dégagée par ces deux tracks… cela vous parcourt le corps !
"Murder Of Soul" comporte également une voix féminine, seulement ici le thème abordé n’est pas aussi réjouissant, et la mélodie vous l’indique dès les premières secondes. Ambiance oppressante, glauque même, le refrain se manifeste à trois reprises et à chaque fois la langue utilisée est différente (nous reconnaissons de l’Espagnol, du Français, et de l’Anglais) comme pour faire passer un message à un maximum de personnes ! Les frontières n’existent plus sur cette piste… La musique est dramatique et Krush veut nous faire part de la difficulté, mais aussi de la réalité de la vie dans la rue…et l’ayant vécu, il retransmet à merveille son expérience par l’intermédiaire de ce morceau effrayant quelque part, tant l’atmosphère est désordonnée.
Nous venons de voir que Krush a su adjoindre à sa rythmique hip hop des cuivres afin d’obtenir des sons propre au jazz, mais notons également la réalisation de pistes à tendance plus rock telle que : "Edge Of Blue", "Into The Water", et "Ruff-Neck Jam" où la trompette tient aussi une place importante. Ces plages rassemblent aussi de petits scratchs discrets, bien placés, et maîtrisés s’alliant à des arrangements sonores de qualité. Cela nous prouve à quel point cet album est instrumental et expérimental ! Ce réel « penchant » instrumental justement, minimaliste se confirme sur l’ensemble des interludes à l’image de "Mixed Nuts", "E.A.R.T.H./SOS", "Another Day", "Underneath The System" et "Down The Drain". De plus, il se dégage une ambiance sinistre, obscure et inquiétante tant les samples utilisés nous paraissent monotones et incapables d’évoluer.
Le titre des pistes le confirme : "Underneath The System" signifie « en-dessous du système », alors que "Down The Drain" veut dire « jeté par les fenêtres » . Une nouvelle fois, l’expérience des années passées d’Hideaki dans la rue rejaillit…et c’est douloureux… Le japonais DJ Krush, avec ce premier opus, nous délivre un hip-hop très instrumental emprunt de noir et de sons étranges. A travers cet album, c’est l’adolescent de la banlieue de Tokyo que nous retrouvons, celui qui a vécu une jeunesse mouvementée ou agressivité et brutalité dominaient. Néanmoins, quelques pistes s’extirpent de cette triste ambiance : "Keeping The Motion" et "Big City Lover", afin de redonner goût à la vie… et quelque part une certaine envie.
Ce début de Krush nous démontre avec les scratchs et les arrangements sonores opérés, une certaine expérience et une originalité qui sous-entend un talent prêt à exploser…on se dit tout simplement qu’il y a du potentiel et que prendre son mal en patience en attendant le prochain album est une sage résolution, car qui sait ce qui peut arriver ! Attendons… Le Japon ne produit pas que des appareils électriques à usage domestique, c’est certain !